jeudi 23 juillet 2015

L'existentialisme sartrien et Huis clos

Jean-Paul Sartre

De l’Existentialisme est un humanisme à Huis clos



Qu’est-ce que l’existentialisme sartrien ?

L’existentialisme  est une  doctrine qui rend la vie humaine possible, qui redonne à l’homme toute sa subjectivité. Sartre axe sa philosophie sur cette foi en l’Homme. J’ai choisi d’exposer la théorie sartrienne en m’appuyant sur des paroles de l’auteur.
« L’existence précède l’essence »  à chaque homme répond au même concept, celui de l’humanité mais il se définit d’abord par ses actes. Ainsi, l’homme est responsable de ce qu’il est.  De plus, le subjectivisme engage non seulement celui qui se choisit, se définit mais également l’humanité car tout individualisme a une influence sur le collectif, tout homme se pense et se définit par rapport à sa conception de l’homme, de l’humanité. L’homme, l’individu est une image de l’homme, de tous les hommes en tant qu’il répond au même concept, celui du genre humain.
« L’homme est angoisse » à tout homme agit. Son action est guidée par sa conscience mais elle a une portée universelle puisque l’homme est entouré d’autres hommes. Sartre appelle « mauvaise foi », l’homme qui n’admet pas que son action engage tous les hommes et donc a une influence sur l’avenir de l’homme.
« L’homme est condamné à être libre » à l’homme est condamné car il ne s’est pas créé ; il est libre car il est seul responsable de ses actes. L’homme est condamné car il n’a pas choisi de répondre au concept de genre humain, d’y appartenir, d’avoir une telle identité mais l’homme est libre car il se détermine, il se définit à défaut de se choisir.
« L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie » à  l’espoir est vain. Il ne faut pas croire, il faut agir. La certitude du lendemain n’existe pas mais la certitude de l’acte oui. Seul l’acte, parce qu’il est attesté, mesurable, identifiable, existe. L’espoir n’est qu’illusion, seule l’engagement est vérité, réalité, humanité.
Sartre réaffirme donc le cogito cartésien « Je pense donc je suis », toute vérité est vérité car je l’ai décidé. L’existence de l’homme est déterminée par l’homme lui-même en tant qu’il l’a décidé, par ses actions, son engagement, ses choix. Mais Sartre dépasse la théorie cartésienne en affirmant que l’homme ne se connaît, se ne reconnaît que parce que les autres le voient ainsi. L’homme existe par ses actes mais seulement tant que ses actes sont partagés par les autres. Nous ne sommes que ce que les autres se représentent de nous, et cette représentation est déterminée par nos actes.
 L’homme s’inscrit dans la condition humaine, en ce sens, il est de même essence que les autres hommes, mais son existence s’inscrit elle, dans une situation. L’homme se construit par ses actes, par ses choix dans une situation donnée. La condition humaine ne change pas, l’homme est toujours homme mais l’individu évolue selon la situation dans laquelle il s’inscrit et se détermine par rapport à elle. Ainsi, Sartre distingue l’être de l’homme, l’individu. L’être est un caractère universel, l’homme est subjectif, il est libre et responsable. L’être humain recouvre une réalité non choisie tandis que l’homme en tant qu’individu se définit précisément par ses choix. Cependant, l’un ne s’entend pas sans l’autre, c’est en ce sens que l’individu n’existe que par l’autre, puisqu’il se construit, évolue dans un rapport avec l’autre[1] . La condition humaine regroupant l’ensemble d’individus, il est évident que la représentation de l’un est déterminée par la perception des autres, cette dernière évoluant et se fixant selon les actes de l’individu en question.
Ainsi, on comprend mieux pourquoi l’existentialisme est un humanisme puisque l’homme existe parce qu’il est et évolue avec autrui. Cette philosophie sartrienne est mise en scène dans son théâtre et plus spécifiquement dans Huis clos.


En quoi Huis clos est-il la démonstration de l’existentialisme sartrien ?

Huis clos est une pièce de théâtre datant de 1944 écrite par Jean-Paul Sartre. Elle raconte l’histoire de trois individus, Garcin, Inès et Estelle, réunis dans une chambre d’hôtel située en enfer. Les personnages sont donc des morts-vivants capables de visualiser la vie sur terre. Ils sont ensemble pour l’éternité, l’enfer étant hors du temps terrestre. Tous les trois sont condamnés en raison des actes qu’ils ont commis lorsqu’ils étaient en vie. Il n’y a pas d’intrigue, seule la discussion entre les trois protagonistes anime la pièce.  Cette dernière se termine par une amère constatation : les choix d’un individu dont découlent ses actes définissent son existence, et plus encore, l’homme. Ainsi, Huis clos invite le spectateur à engager une réflexion sur l’homme et son rapport au monde, et donc rejoint par ce fait, la théorie sartrienne de l’existentialisme.

I.                   Un théâtre à la croisée des genres


Huis clos est une mise en scène de l’enfer qui recoupe deux genres littéraires : le fantastique et le réalisme. Le fantastique est présent dans le récit parce qu’il plonge les personnages principaux dans un lieu dont le temps est absent puisque l’enfer est éternité mais également un lieu qui, bien qu’éloigné du monde du vivant de par sa nature, l’enfer accueille les hommes décédés ayant commis un crime, reste connecté à ce dernier. En effet,  de nombreuses reprises, les protagonistes peuvent observer la vie, les personnes qu’ils côtoyaient, les lieux qu’ils fréquentaient. Enfin, Sartre propose un enfer dans lequel les hommes restent conscients de leurs actes, de leurs vies, ils peuvent échanger entre eux et gardent leurs apparences physiques, ce qui atteste du décalage entre leurs situations –morts- et leurs apparences –vivantes-. Cependant, Huis clos est également une pièce réaliste puisque de nombreux objets ornent la chambre dans laquelle sont enfermés les personnages, tels le bronze par exemple. De plus, les protagonistes gardent un langage familier, du quotidien. La fiction semble se dissoudre dans les paroles des personnages afin de créer l’illusion d’un enfer qui ne serait que la reproduction de la vie sur terre mais avec un éternel recommencement.

II.               Un théâtre de situation


Sartre qualifie lui-même son théâtre de théâtre de situation[2]. Ce dernier se définit à la fois par sa moralité mais également par sa représentation.
L’engagement est pour Sartre à l’origine de l’homme puisque ce dernier doit faire des choix pour exister. De ce présupposé, le théâtre sartrien en fait l’écho puisque le choix ou la morale en action définit l’homme. Ainsi, les protagonistes de Huit clos se retrouvent en enfer car ils ont fait de mauvais choix, non pour eux-mêmes mais bien pour la communauté humaine. Ce dernier point est la pierre angulaire de l’édifice sartrien puisque l’engagement de chacun doit être en fonction de l’engagement d’autrui : il n’y a pas de bons ou mauvais choix par essence mais bien selon le rapport que «  soi » entretient avec autrui. Sartre nomme cette équation le « pour-soi » et « pour-autrui ». C’est véritablement lorsqu’il y a un conflit entre le « pour soi » et « pour autrui » que « l’enfer c’est les autres ». Ainsi, Huis clos, met en abîme l’existentialisme à travers le prisme de trois assassins : Garcin, le lâche et déserteur ; Inès, la lesbienne sadique et Estelle, l’infanticide intéressée. Enfin, à cet existentialisme, Sartre ajoute la notion d’humanisme, en montrant que l’homme est condamné à être avec l’autre. L’individualisme et l’isolement ne sont que des illusions car l’existence ne peut s’accomplir qu’avec autrui. Sartre dépasse dans Huis clos l’existence terrienne en ancrant ses personnages en enfer : il démontre ici que l’homme n’est et ne sera jamais seul qu’avec autrui, d’où l’importance de ses choix qui le définissent et déterminent son état de conscience. Par état de conscience j’entends le fait du repos de l’âme qui est désiré dans Huis clos mais ne sera jamais atteint puisque les personnages n’ont pas fait les bons choix et seront éternellement jugés pour cela. Sartre propose donc dans Huis clos une démonstration par l’absurde, puisque les personnages sont morts mais « vivent » éternellement en enfer, de ce qu’est la condition humaine.
Outre le théâtre de l’engagement, Huis clos est également un théâtre de représentation. Il ne s’agit pas d’inscrire le théâtre dans la continuité du genre littéraire en proposant une intrigue et un dénouement. Sartre ne répond ni à l’un ni à l’autre. Il entend montrer l’homme aux spectateurs afin de leurs donner à réfléchir sur l’existence et la conscience humaine. Tout est épuré dans Huis clos afin d’orienter le spectateur vers l’analyse. Huis clos s’oppose en cela au théâtre dit d’imitation dans lequel le spectateur doit être convaincu d’une représentation fidèle de la réalité. A ce propos, Sartre dit « L’écrivain ne doit pas chercher, sinon il est en contradiction avec lui-même ; s’il veut exiger, il faut qu’il propose seulement la tâche à remplir. De là, ce caractère de pure représentation qui paraît essentiel à l’œuvre d’art[3] ». Ainsi, le théâtre sartrien dépasse le théâtre classique puisqu’il n’entend pas montrer la réalité de la nature humaine mais la démontrer et surtout engager le spectateur dans cette démonstration.






[1] l’être qui n’est pas lui dans sa subjectivité mais qui le rejoint dans sa condition
[2] Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ? (Gallimard, 1948, p.313 et suivantes)
[3] Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ? (Gallimard, 1948, p.99)

mercredi 3 août 2011

Les mots


Les mots est une autobiographie de Jean-Paul Sartre. Dans un premier temps, l'ouvrage fut publié en novembre-décembre 1963 dans les Temps Modernes puis en janvier 1964, chez Gallimard. Les mots sont le fruit d'une réflexion personnelle de Sartre qui tente d'expliquer sa passion pour la littérature et son attachement  à la profession d'écrivain. A l'origine, le texte devait s'intituler " Jean sans terre " , en référence à l'absence de père qui marqua son enfance et également, à son engagement politique, tourné vers le communisme. Cependant, selon Jean-Bertrand Pontalis, les mots traduisent le projet de Sartre de dénoncer son enfance bourgeoise, qui l'a conduit vers la littérature, car elle ne permet pas de mettre un terme aux malheurs des hommes.
Jean-Paul Sartre y décrit son enfance et le début de son adolescence soit de l'âge de quatre ans à l'âge de onze ans. Les mots recoupent deux parties : Lire et Ecrire.

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dimanche 27 mars 2011

Qu'est ce que la littérature ?


Jean-Paul Sartre publie pour la première fois  Qu'est ce que la littérature? en 1947 dans les Temps Modernes. En 1948, certaines modifications sont apportées à l'essai au cours d'une seconde publication dans Situation II ( recueil ) et seront plus tard , publiées en volume séparé.


Contexte historique :
- fin de la Seconde Guerre Mondiale 1945 = le monde est à reconstruire
- début de la Guerre Froide opposant l'URSS (communiste) et les États-Unis (capitaliste) = menace d'une troisième guerre mondiale
- début des décolonisations, en particulier en 1946 , début de la guerre d'Indochine qui oppose la France ( pays colonisateur ) et l'Indochine ( pays colonisé) = conflit entre opposant et partisan de la colonisation
---> Sartre est un intellectuel engagé. Il affirme ses opinions notamment à travers ses oeuvres. Communiste,  anti-bourgeois et s'opposant à la colonisation, il défend l'idée de la nécessité d'écrire pour exprimer ses pensées et les argumenter afin de faire avancer le monde : " J'écris pour mon époque".


Qu'est ce que la littérature ? fut écrit en réponse aux critiques d'écrivains qui se voulaient consternés par l'engagement de Sartre exprimé dans les Temps Modernes. "Et puisque les critiques me condamnent au nom de la littérature sans jamais dire ce qu'ils entendent par là, la meilleure réponse à leur faire , c'est d'examiner l'art d'écrire, sans préjugés. Qu'est-ce qu'écrire ? Pourquoi écrit-on ? Pour qui ? Au fait, il semble que personne ne se le soit jamais demandé."


Partie I : Qu'est ce qu'écrire ?

"C'est une chose que de travailler avec des couleurs ou des sons, c'en est une autre de s'exprimer par des mots".

* La peinture exprime à travers une chose un signe. Le fait qu'elle soit précisément "chose" et non "signe" empêche de distinguer ou d'exprimer un langage proprement dit. Ainsi, on perçoit le tableau dans son ensemble et le "signe" devient objet de l'art et non plus singularité.

* La mélodie est à la fois le récit, l'expérience d'un état et l'état lui-même. " Un chant de douleur est à la fois la douleur elle-même et autre chose que la douleur (...) c'est une douleur qui n'existe plus, qui est".

* Le peintre représente la chose et laisse aux autres l'imagination pour la comprendre et en déchiffrer le signe. L'écrivain exprime avec des mots le signe, il le déchiffre et le donne comme explication aux autres."On ne peint pas les significations , on ne les met pas en musique ; qui oserait, dans ces conditions, réclamer du peintre ou du musicien qu'ils s'engagent ? "

* La poésie est similaire à la peinture, la musique ou la sculpture. " On me reproche de la détester : la preuve en est, dit-on, que Les Temps Modernes publient fort peu de poèmes. C'est la preuve que nous l'aimons, au contraire." La poésie met en valeur les mots, la prose donne aux mots une valeur. Le signe révèle le monde, la vérité.  Le signe s'exprime à travers un langage, celui de l'écrivain. Le poète ne cherche pas un langage, il cherche à créer de l'art avec des mots. Les mots ne sont alors plus signes mais deviennent choses. "L'ambiguïté du signe implique qu'on puisse à son gré le traverser comme une vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée ou tourner son regard vers sa réalité et le considérer comme objet. L'homme qui parle est au delà des mots, près de l'objet ; le poète est en deçà." Le poète utilise donc les mots, non pour leur signification, leur caractère mais pour l'image qu'ils représentent. Le mot est choisit délibérément par le poète : c'est un choix de réflexion. Le mot n'apparaît plus comme une entité innée à l'homme : le poète matérialise le mot, il le rend outil d'un autre langage, le langage poétique. "Car le mot, qui arrache le prosateur à lui-même et le jette au milieu du monde, renvoie au poète, comme un miroir, sa propre image".

* "L'art de la prose s'exerce sur le discours, sa matière est naturellement signifiante : c'est à dire que les mots ne sont pas d'abord des objets, mais des désignations d'objets". L'écrivain cherche à transmettre, à travers les mots, une idée. Il ne pense pas à l'esthétique du langage, il pense au langage brut, au sens des mots. Son but étant de communiquer : il met le langage au service de sa réflexion. " Nous sommes dans le langage comme dans notre corps ; nous le sentons spontanément en le dépassant vers d'autres fins." Le langage permet d'interagir avec le monde. L'essence même du métier d'écrivain est la recherche d'une interaction commune, entre les lecteurs et l'écrivain, autour d'une réflexion particulière. Il ne s'agit pas de montrer l'art, mais de le partager. Ce partage est réfléchi. Chaque écrit doit avoir une certaine consistance afin de pouvoir justifier sa fonction communicative.

* "Parler c'est agir : toute chose qu'on nomme n'est déjà plus tout à fait la même, elle a perdu son innocence". L'écrivain, en dénonçant sa réflexion sur un sujet particulier, permet de donner une nouvelle impulsion aux choses car il apporte un nouveau sens, une nouvelle signification qui lui est propre. Le fait même de réfléchir sur une chose permet donc à l'écrivain de s'engager car il ne se contente pas d'exposer une chose, il en prend connaissance et se l'approprie." A chaque mot que je dis, je m'engage un peu plus dans le monde, et du même coup, j'en émerge un peu davantage puisque je le dépasse vers l'avenir ". L'écrivain ne peut pas être objectif : il choisit ce qu'il veut écrire. Cette subjectivité est donc consciente. Le travail de l'écrivain est de transmettre le mouvement perpétuel du monde, ses différentes significations. L'homme, contrairement à Dieu, est un sujet du monde. L'écrivain est donc le meilleur témoin de l'univers et de l'humanité." Se taire ce n'est pas être muet, c'est refuser de parler, donc parler encore". L'écrivain fait un choix : il choisit tels mots, tels sujets...Lorsqu'il décide de réfléchir sur un aspect du monde, il prend la décision de ne pas aborder tel autre aspect du monde. Cependant, son choix de réflexion interroge le lecteur sur ses omissions volontaires, ce qui est en soi, une autre manière d'écrire puisqu'il dirige le lecteur et son champ de réflexion.

* "On n'est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses mais pour avoir choisi de les dire d'une certaine façon". Le talent de l'écrivain, c'est de révéler sa réflexion par étapes et de rendre au lecteur le plaisir de la découvrir. L'écrivain pense d'abord, puis écrit ensuite. L'écriture est le résultat d'une réflexion, ce n'est jamais l'écriture qui précède la réflexion.  Ainsi, l'écrivain se concentre sur le fond avant de penser la forme.

*  Le génie de l'écrivain ne réside pas dans sa faculté à retranscrire une réflexion particulière mais à mettre en perspective l'Homme à travers cette réflexion. Donc, l'idée développée, réfléchie, écrite, n'est que secondaire. Le lecteur cherche dans l'écriture à percevoir l'écrivain, l'Homme. "Telle est donc la ''vraie'', la ''pure'' littérature : une subjectivité qui se livre sous les espèces de l'objectivité, un discours si curieusement agencé qu'il équivaut à un silence, une pensée qui se conteste elle-même, une Raison qui n'est que le masque de la folie, un Éternel qui laisse entendre qu'il n'est qu'un moment de l'Histoire."L'écrivain est avant tout un homme de son temps et son oeuvre doit être envisagée comme telle.


Partie II : Pourquoi écrire ?


* L'Homme est à l'origine de ses perceptions. Le monde, son unité, n'est définie que par l'Homme. "Mais si nous savons que nous sommes les détecteurs de l'être, nous savons aussi que nous n'en sommes pas les producteurs." Cependant, ces perceptions conscientes ne sont pas nécessaires au monde : l'univers survivra à l'Homme. Ainsi, l'Homme pense le monde mais il ne peut le dépasser. C'est cette contradiction consciente  qui fonde la première cause de l'écriture : l'Homme aspire à s'inscrire dans ce monde qu'il dévoile sans atteindre. L'écriture est en ce sens un facteur de création. Il devient donc "producteur". Pourtant, cette création, l'écrivain ne peut l'atteindre dans sa totalité." Même s'il apparaît aux autres comme définitif, l'objet crée nous semble toujours en sursis : nous pouvons toujours changer cette ligne, cette teinte, ce mot ; ainsi ne s'impose t-il jamais." L'écrivain ne peut dévoiler sa création car elle est subjective : elle émane de lui. Ainsi, seul le lecteur, autrui, peut dévoiler l'oeuvre de l'écrivain. L'Homme ne peut atteindre le monde dans son entité absolue " Ainsi, dans la perception, l'objet se donne comme l'essentiel et le sujet comme l'inessentiel ; celui-ci recherche l'essentialité dans la création et l'obtient, mais alors c'est l'objet qui devient l'inessentiel". L'écrivain pense l'histoire qu'il veut construire, il est le maître d'oeuvre de son art. Il en est explicitement attaché puisque l'histoire écrite n'existe que par lui, par sa plume. Il en connaît tous les secrets, en ce sens, il ne peut être surpris par cette histoire, contrairement aux lecteurs qui la découvre au fil des pages. Ainsi l'écrivain est un artiste dont la subjectivité créatrice n'est autre que la clef de l'histoire pour le lecteur. " Il n'est donc pas vrai qu'on écrive pour soi-même : ce serait le pire échec ; en projetant ses émotions sur le papier, à peine arriverait-on à leur donner un prolongement languissant." Néanmoins, l'histoire écrite est indissociable de l'histoire lue. En d'autre terme, l'histoire écrite ne peut exister, prendre forme que si l'histoire est lue. " C'est l'effort conjugué de l'auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu'est l'ouvrage de l'esprit. Il n'y a d'art que pour et par autrui."

* La lecture est l'aboutissement de l'écriture : elle rend vivante l'oeuvre, l'objet et dans le même temps en dévoile le sujet. La lecture concilie donc la création et la perception.Une lecture inefficace ne révèle que quelques parties de l'oeuvre et donc n'accomplie pas pleinement sa double fonction : création et perception absolue de l'objet littéraire. " L'objet littéraire, quoiqu'il se réalise à travers le langage, n'est jamais donné dans le langage ; il est, au contraire, par nature, silence et contestation de la parole." Le lecteur atteint les silences de l'oeuvre, ses sens cachés, sa profondeur par sa réflexion et son implication dans l'oeuvre lue. Il existe plusieurs silences émanant de l'oeuvre : le silence absolu, celui de l'inspiration créatrice de l'auteur ; le silence en tant qu'objet littéraire c'est à dire le sens profond de l'oeuvre puis les silences volontaires, les non-dits : " Il s'agit d'intentions si particulières qu'elles ne pourraient pas garder de sens en dehors de l'objet que la lecture fait paraître ; ce sont elles pourtant qui en font la densité et qui lui donnent un visage singulier. Elles sont précisément l'inexprimable." D'abord, le but d'une oeuvre littéraire est d'éveiller chez le lecteur son propre vécu. Le langage en est le outil littéraire. En effet, le langage littéraire traduit diverses attitudes, diverses actions et divers sentiments qui incitent le lecteur à s'identifier ou du moins à s'imaginer vivre l'histoire lue. La lecture révèle le lecteur à lui-même. " Puisque la création ne peut trouver son achèvement que dans la lecture, puisque l'artiste doit confier à un autre le soin d'accomplir ce qu'il a commencé, puisque c'est à travers la conscience du lecteur seulement qu'il peut se saisir comme essentiel à son oeuvre, tout ouvrage littéraire est un appel."  L'appel dont parle ici Sartre est un appel de l'écrivain aux lecteurs. En effet, il n'y a d'oeuvre littéraire que s'il y a lecteur car le lecteur dévoile l'histoire. Lire est un acte voulu, réfléchi.L'écrivain fait également appel à la liberté du lecteur. En effet, le lecteur est libre de choisir l'oeuvre littéraire qu'il souhaite lire. Cette liberté est essentielle au dévoilement de l'oeuvre.  

* L'imagination est suscitée par l'art mais elle en est dépendante dans le même temps. Le lecteur imagine ce que l'auteur est en mesure de lui proposer à imaginer. " L'oeuvre d'art n'a pas de fin (...) elle est une fin." L'art est le moyen par lequel le lecteur éprouve sa liberté : il choisit de s'investir dans l'histoire, il en choisit le jugement guidé par la trame narrative imposée par l'auteur. De plus, l'art révèle au lecteur sa liberté : son imagination retranscrit ses idées profondes ( envie, colère...) et donne à percevoir une autre vision de l'être, particulière à chaque lecteur : "Ainsi l'auteur écrit pour s'adresser à la liberté des lecteurs et il la requiert de faire exister son oeuvre".  En effet, si le lecteur peut imaginer c'est parce que l'auteur a crée. L'écrivain crée le contexte, le lecteur le déchiffre mais toujours en usant de sa liberté c'est à dire d'imaginer le corps de l'histoire avec l'âme donnée par la plume du créateur. " Ainsi à travers la causalité phénoménale, notre regard atteint la finalité, comme la structure profonde de l'objet et , au delà de la finalité, il atteint la liberté humaine comme sa source et son fondement originel."

* "L'erreur du réalisme a été de croire que le réel se révélait à la contemplation et que, en conséquence, on en pouvait faire une peinture impartiale." On ne peut dépeindre le monde qu'en le considérant : l'homme est conscient , il pense et de ce fait, sa pensée influence sa vision du monde. L'écrivain ne peut prétendre à l'impartialité mais l'univers qu'il propose au lecteur, bien qu'émergent d'une conscience particulière, suscite chez le lecteur une opinion particulière." Tout l'art de l'auteur est pour m'obliger à créer ce qu'il dévoile, donc à me compromettre. A nous deux, voilà que nous portons la responsabilité de l'univers." 

Partie III : Pour qui écrit-on ?


* "Chaque livre propose une libération concrète à partir d'une aliénation particulière". L'écriture et la lecture se rejoignent : l'écrivain écrit pour l'autre mais l'autre lit pour l'histoire. Ainsi, le principe fondateur de tout acte littéraire est cette volonté de partager l'histoire et de la défier en proposant d'autres façons de la raconter. C'est bien là une liberté que partage le lecteur et l'écrivain : partir d'une histoire donnée mais se la révéler par des moyens particuliers. L'aliénation est donc bien l'histoire et la liberté l'acte d'écriture et de lecture.

* La liberté est la faculté de choisir. "Car si l'aspect immédiat de la liberté est négativité on sait qu'il ne s'agit pas de la puissance abstraite de dire non, mais d'une négativité concrète qui retient en elle-même ce qu'elle nie et s'en colore tout entière". Ainsi, l'auteur et le lecteur se choisissent réciproquement puisque l'un répond aux exigences de l'autre. Ils interagissent par le biais du livre : l'un en écrivant, l'autre en lisant.

* Un écrivain engagé est un écrivain qui donne à réfléchir sur un sujet donné. " L'écrivain est médiateur par excellence et son engagement c'est la médiation". De plus, l'homme décide d'écrire : en ce sens, il est libre. Mais sa liberté se limite aux attentes des lecteurs et à la représentation sociale qui lui est associée. Son rôle est d'écrire. Être écrivain implique des obligations puisque l'on écrit pour autrui. Ainsi, l'engagement de l'écrivain réside dans le fait qu'il choisit de limiter sa liberté pour desservir les attentes d'autrui. L'oeuvre de l'écrivain est inestimable puisqu'il s'agit d'une oeuvre de l'esprit : sa finalité n'est pas utile mais réfléchie.

* "Car le passage au médiat qui ne peut se faire que par négation de l'immédiat est une perpétuelle révolution".L'écrivain met à nu une réalité et cette mise à nu, par l'analyse et la réflexion qu'elle engendre, donne à la réalité sa mouvance. Sartre distingue le public réel du public virtuel c'est à dire ceux à qui le livre s'adresse et ceux dont le livre parle. Parfois, les deux publics se rejoignent, ce qui limite la portée sociale et réflexive du livre.

* Est littéraire ce qui s'adresse aux hommes libres. Pour Sartre, lorsque la pensée devient crainte, intéressée ou respectueuse, ce n'est plus de la littérature. " La littérature est le mouvement par lequel, à chaque instant, l'homme se libère de l'histoire : en un mot, c'est l'exercice de la liberté." En effet, la littérature, par les réflexions qu'elle engendre, permet d'envisager l'homme comme sujet universel.

* Sartre distingue la subjectivité première de la subjectivité seconde d'une oeuvre littéraire. La subjectivité première est l'histoire du narrateur. La subjectivité seconde est lorsque d'autres personnages viennent ajouter  à l'histoire en cours leur propre histoire. Cette superposition d'évènement crée une dynamique particulière.

* "C'est un caractère essentiel et nécessaire de la liberté que d'être située". L'écrivain est en situation puisqu'il écrit pour un public défini et sa littérature répond aux besoins et demandes de ce public. "De l'écart entre le public idéal et le public réel est née l'idée d'universalité abstraite." L'écrivain cherche à s'adresser à l'Homme dans ses écrits mais ses lecteurs ne sont représentatifs que d'une catégorie sociale à une époque donnée." La littérature est par essence, la subjectivité d'une société en révolution permanente."

Partie IV : Situation de l'écrivain en 1947

 Sartre fonde son discours sur la problématique de l'écrivain français et de son évolution au cours du XXème siècle jusqu'en 1947. Avant d'être écrivain, il faut être intellectuel. Là où l'impulsion intellectuelle est présente, l'art se développe. Ainsi, Sartre souligne "la centralisation nous a tous groupés à Paris". L'écrivain lit pour apprendre sur le monde et sur lui même. Et c'est précisément cette connaissance littéraire qui détermine son rapport au monde. Il ne faut pas oublier que l'écrivain est un homme de lettres mais également de mœurs.

Sartre distingue trois générations d'écrivains :

- Avant 1914 : "ils me paraissent avoir réalisé en leur personne et par leurs œuvres l'ébauche d'une réconciliation entre la littérature et le public bourgeois". Avant 1914, écrire n'était pas un métier puisque l'écrivain ne vivait pas de son art. De plus, l'écrivain n'écrit que pour et par ce qui l'entoure. Son environnement est la richesse de ses écrits, l'inspiration de son art. " Pour se sauver lui-même , il sauvera la bourgeoisie en profondeur". Car c'est précisément de cet environnement, que naîtra la conscience bourgeoise et littéraire. Dépeindre l'Homme en dressant le tableau de son monde, tel est l'idéal littéraire de cette époque. Sartre résume le statut de ces écrivains du quotidien qui inspirent à écrire de grandes choses : " il faut faire comme tout le monde et n'être comme personne". Sartre nomme cette littérature, une littérature d'alibi puisque l'écrivain cherche toujours à dépasser la réalité pour en extraire des jugements plus nobles, plus grands.
- Après 1918 : La guerre a engendré deux courants littéraires bien distincts. L'un d'eux survivra et l'autre tombera en désuétude. "Le surréalisme poursuit cette curieuse entreprise de réaliser le néant par le trop plein d'être". En effet, le but du surréalisme est de déjouer les codes sociétaux, de les contester mais toujours de s'en inspirer. Cependant, leur contestation, par son caractère général, perd son authenticité et son intérêt. A trop vouloir changer le monde, ils ne le changent plus, à peine le dévoile t-il. "L'abolition totale dont le surréalisme rêve, ne fait de mal à personne, précisément parce qu'elle est totale. C'est un absolu situé en dehors de l'Histoire, une fiction poétique." Le surréalisme s'attache à adopter le combat communiste selon lequel l'esprit de Négativité prédomine. Cependant, quand le communisme aspire à une société nouvelle, le surréalisme ne se reconnaît plus : son combat étant purement littéraire et formel. L'humanisme est un autre courant littéraire de l'entre deux guerres. Ces écrivains ne cherchent pas à détruire le monde et la société des classes mais entendent écrire l'Homme. "Ils ont voulu faire voir qu'il est possible d'être homme même dans l'adversité". Cependant, le courant humaniste n'a pas su survivre à l'entre deux guerres car ils ont voulu écrire une société qui, par l'ampleur des grands événements, n'existait plus.
- Après 1945 : Il y a un besoin de renouveau. Ce renouveau s'alimente de l'évolution du monde : de l'avion à la naissance du tourisme de masse. La littérature s'en inspire et dessine de nouvelles perspectives. " Toutes les entreprises dont nous pouvons parler se réduisent à une seule : celle de faire l'Histoire." Sartre perçoit dans ce renouveau une autre littérature davantage ancrée dans le présent pour en révéler la complexité, le paradoxe. L'auteur doit écrire ce qu'il perçoit parce que c'est cette perception que retiendra l'Histoire. Il en est le témoin parce qu'il en est l'écho : "Il ne s'agit pas de choisir son époque mais de se choisir en elle." La littérature évolue au même rythme que le monde: elle se mondialise, s'émancipe et finit par perdre son identité. A la problématique des lecteurs se substitue celle des auteurs : "Nous sommes beaucoup plus connus que nos livres sont lus". Sartre se désole d'assister impuissant à la naissance de ce qu'il appelle "l'industrie littéraire", où la littérature exploitée sous diverses formes finit par être dénaturée, incomprise et finalement oubliée au rang de divertissement. La Seconde Guerre mondiale a engendré une autre perception de la littérature pour son "vrai" lectorat : les valeurs démocratiques en premier lieu desquelles la liberté. L'écrivain est libre d'écrire et cette liberté reste son identité. Dans un monde où il faut choisir un camps, la littérature ne choisit pas, elle est universelle : "Nous écrivons contre tout le monde, nous avons des lecteurs, mais pas de public."  Sartre propose de conquérir le public en se jouant des nouveaux médias et en adaptant la littérature à la modernité comme elle l'a fait du temps de Gutenberg.
- Synthèse : Sartre pose la problématique du pourquoi de la lecture --> Lisons nous  pour ce qui est écrit ou pour ce que l'ouvrage représente ? Cette seconde hypothèse représente un danger pour la littérature en tant qu'elle entend transmettre un questionnement. Sartre prend l'exemple de Nizan : "Communiste, les communistes le lisaient avec ferveur; apostat, mort, aucun stalinien n'aurait l'idée de reprendre ses livres; ils n'offrent plus à ces yeux prévenus que l'image même de la trahison." Pour faire des lecteurs, un public, Sartre propose de les unir autour de la thématique de la liberté, accessible par la connaissance de l'Homme et de la société dans laquelle il s'inscrit. Ainsi, l'écrivain doit s'engager et cet engament est sa liberté : "La littérature est par essence prise de position". Sartre met également en exergue les spécificités de la linguistique qui se trouve être en perpétuelle évolution consécutivement à la société dans laquelle elle s'inscrit. Ce fait est d'autant plus important qu"il détermine l'engagement de l'écrivain en ce qu'il choisit d'employer ou non un mot donné.  Sartre explique qu'en choisissant sa liberté, on se choisit nous-mêmes. La liberté n'est pas la même pour tous et diffère en tout temps. Ainsi, l'écrivain doit, au delà de l'analyse, synthétiser les enjeux de son époque pour en proposer une issue. Cette issue détermine l'homme futur : "L'homme est à inventer chaque jour". 

"Bien sûr, tout cela n'est pas si important : le monde peut fort bien se passer de la littérature. Mais il peut se passer de l'homme encore mieux."

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mardi 22 février 2011

Le mur



Le mur est un recueil de nouvelles publié en 1939. Cinq nouvelles composent ce recueil :
- Le mur
- La chambre
- Erostrate
- Intimité
- L'Enfance d'un chef
L'ensemble du recueil obtint le prix populiste en 1940.
Jean-Paul Sartre qualifia ces nouvelles de " cinq petites déroutes tragiques et comiques ". Il dédia ce recueil à Olga Kosakiewics ( actrice et amie de Sartre ).



Le mur :  Il s'agit de l'histoire d'un homme condamné , qui attend la mort. Cet homme, Pablo Ibbieta, pour avoir aidé un insurgé , est victime de ses actes. Il se surprend , au fil des heures, à renier la vie dans sa superficialité et à désirer son aspect uniquement primitif : boire, manger, dormir. Ainsi, face au mur , à la mort, l'homme , quelque soit son histoire, est un homme , rien de plus.

" Quelques heures ou quelques années d'attente c'est tout pareil , quand on a perdu l'illusion d'être éternel. "




La chambre :  Récit d'une femme , Eve, qui refuse de voir son mari comme un homme fou, malade. Elle s'obstine , n'écoute pas les conseils du médecin, de ses parents. Elle s'enferme , s'emmure, avec l'homme qu'elle a aimé .Cependant, la folie s'apparente au fil des pages à l'amour démesuré d'Eve  : refus de laisser soigner l'être malade,  envisager le crime passionnel plutôt que de reconnaître la maladie de l'autre. La folie n'est donc pas forcément là où elle semble la plus évidente.

" Un jour, ces traits se brouilleraient, il laisserait pendre sa mâchoire, il ouvrirait à demi des yeux larmoyants. Eve se pencha sur la main de Pierre et y posa ses lèvres : "Je te tuerai avant.". 



Erostrate :  Paul Hilbert est un homme à la personnalité complexe et dérangeante. Il hait l'Homme et ne peut entretenir de réels rapports tant humains que sexuels. Il est prisonnier de sa condition d'homme et ne cherche qu'à la dominer. Ainsi, Paul Hilbert va tuer. Le meurtre de l'Autre ne le satisfaisant pas , il s'abandonnera aux Hommes en refusant de se suicider.


"Moi je ne demande rien à personne,mais je ne veux rien donner non plus".


---> Erostrate est l'incendiaire du temple d'Artémis à Ephèse. Il expliqua qu'il commit ce geste en recherchant la célébrité. Son nom est alors interdit de citation mais un historien du nom de Théopompe le mentionne et il est repris au fil des siècles dans des écrits , ce qui valut à Erostrate sa "célébrité" postérieure.  

"Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d'Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si mauvais calcul."




Intimité : Lulu et Henri sont mariés. Leur mariage est un échec : Lulu est infidèle et Henri est violent et impuissant. Ils sont malheureux. Lulu se confie à son amie Rirette qui comprend très vite la complexité d'un mariage qui subsiste malgré le manque d'amour , de sexualité et de respect. Sartre montre ici comment le mariage , sans amour , peut s'avérer être une prison et comment la sexualité peut elle prendre la forme de la liberté.


"Le plaisir il n'y a que moi qui sache me le donner."
" On ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux."




L'enfance d'un chef :  Il s'agit de l'histoire d'un homme , Lucien , dont la vie paraît toute tracée mais qui , au travers de différentes actions , va changer sa destinée dans l'espoir de devenir quelqu'un. Lucien ne cesse , dans sa jeunesse , de s'interroger sur son existence. Il tente de se forger une identité par le biais d'expériences sexuelles , de psychanalyses ou de prises de position politique. Sa quête le mènera à devenir antisémite. Ainsi, cette nouvelle, trace le parcours d'un homme enfermé dans ses questionnements , dans sa quête identitaire et ,pour qui , le fascisme deviendra une source d'affirmation. Sartre amène ici le lecteur à un questionnement sur l'être et sur les limites d'une quête identitaire : doit-on s'identifier par opposition aux autres ? Ou , existons-nous grâce à l'Autre?


"Voilà donc que , de nouveau, on lui offrait un caractère et un destin, un moyen d'échapper aux bavardages intarissables de sa conscience, une méthode pour se définir et s'apprécier."
"Là où je me cherchais, pensa-t-il , je ne pouvais pas me trouver."
"Et lui, il était, il serait toujours cette immense attente des autres :"c'est ça un chef"."


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dimanche 13 février 2011

Le prix nobel de littérature et le refus de Sartre



En 1964, Jean-Paul Sartre publie "Les Mots".
Le 10 décembre 1964, Jean-Paul Sartre remporte le prix nobel de littérature. Il le refuse aussitôt. C'est la première fois qu'un lauréat décline cette distinction.
Au mois d'octobre 1964, Sartre est officiellement inscrit sur la liste des nominations pour le prix nobel de littérature.
 En apprenant cette nouvelle, le 14 octobre 1964, Jean-Paul Sartre écrit une lettre à l'académie suédoise en déclarant souhaiter ne pas être nominé.

Monsieur le Secrétaire,
D'après certaines informations dont j'ai eu connaissance aujourd'hui, j'aurais cette année quelques chances d'obtenir le prix Nobel. Bien qu'il soit présomptueux de décider d'un vote avant qu'il ait eu lieu, je prends à l'instant la liberté de vous écrire pour dissiper ou éviter un malentendu. Je vous assure d'abord, Monsieur le secrétaire, de ma profonde estime pour l'académie suédoise et le prix dont elle a honoré tant d'écrivains. Toutefois pour des raisons qui me sont personnelles et pour d'autres qui sont plus objectives, je désire ne pas figurer sur la liste des lauréats possibles et je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus tard, accepter cette distinction honorifique.
Je vous prie, Monsieur le secrétaire d'accepter mes excuses et de croire à ma très haute considération."



Malheureusement, la lettre ne fut pas ouverte et le 22 octobre , Jean-Paul Sartre est désigné lauréat du prix nobel de littérature.
 En décembre 1964, Sartre ne se présente pas à la cérémonie de remise de prix en Suède. Il écrit rapidement une seconde lettre expliquant son attitude et son refus.

"Je regrette vivement que l'affaire ait prix une apparence de scandale : un prix est distribué et quelqu'un le refuse. J'y ai invoqué deux sortes de raisons : des raisons personnelles et des raisons objectives.
Les raisons personnelles sont les suivantes : mon refus n'est pas un acte improvisé. J'ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque après la guerre, en 1945, on m'a proposé la légion d'honneur, j'ai refusé bien que j'aie eu des amis au gouvernement. De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis.  Ce n'est pas la même chose si je signe Jean Paul Sartre ou si je signe Jean Paul Sartre prix Nobel. L'écrivain doit donc refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c'est le cas.
Mes raisons objectives sont les suivantes : Le seul combat actuellement possible sur le front de la culture est celui pour la coexistence pacifique des deux cultures, celles de l'est et celle de l'ouest. Je ne veux pas dire qu'il faut qu'on s'embrasse, je sais bien que la confrontation entre ces deux cultures doit nécessairement prendre la forme d'un conflit, mais elle doit avoir lieu entre les hommes et entre les cultures, sans intervention des institution. Mes sympathies vont indéniablement au socialisme et à ce qu'on appelle le bloc de l'est, mais je suis né et j'ai été élevé dans une famille bourgeoise.  J'espère cependant bien entendu que " le meilleur gagne ", c'est à dire le socialisme.
C'est pourquoi je ne peux accepter aucune distinction distribué par les hautes instances culturelles, pas plus à l'est qu'à l'ouest, même si je comprends fort bien leur existence. Bien que toutes mes sympathies soient du cote des socialistes, je serais donc incapable tout aussi bien d'accepter par exemple le prix Lenine si quelqu'un voulait me le donner, ce qui n'est pas le cas.  Pendant la guerre d'Algérie alors que nous avions signé le " Manifeste des 121 ", j'aurais accepté le prix avec reconnaissance, parce qu'il n'aurait pas honoré que moi mais aussi la liberté pour laquelle nous luttions. Mais cela n'a pas eu lieu et ce n'est qu'à la fin des combats que l'on me décernait le prix."

Quand, plus tard, un journaliste lui pose la question " Pourquoi avez vous refusez le prix nobel ?" , Sartre répond :

"J'ai refusé le Prix Nobel de littérature parce que je refusais que l'on consacre Sartre avant sa mort. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun homme ne mérite d'être consacré de son vivant, parce qu'il a le pouvoir et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m'aurait élevé sur un piédestal alors que je n'avais pas fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté et d'agir, de m'engager. Tout acte aurait été futile après, puisque déjà reconnu de façon rétrospective. Imaginez: un écrivain pourrait recevoir ce prix et se laisser aller à la déchéance, tandis qu'un autre pourrait devenir encore meilleur. Lequel des deux méritait son prix? Celui qui était au sommet et qui a redescendu la pente ou celui qui fut consacré avant d'atteindre le sommet? J'aurais pu être l'un des deux, et jamais personne n'aurait pu prédire ce que je ferais. On est ce que l'on fait. Je ne serai jamais récipiendaire du Prix Nobel, tant et aussi longtemps que je pourrai encore agir en le refusant."

Vidéo sur ce thème :