dimanche 30 janvier 2011

Hommage de Sartre à Camus

Le 4 janvier 1960, en rentrant de Lourmarin à Paris , Albert Camus se tue dans un accident de voiture. Il a quarante-six ans. L'adieu de Sartre à Camus est publié le 7 janvier dans France Observateur.

Jean-Paul Sartre indique dès le départ, qu'il fait parti de ceux qui l'ont aimé " notre querelle était tout juste une autre manière de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petit monde étroit qui nous est donné". 
Jean-Paul Sartre décrit le livre La Chute de Camus comme "le plus beau peut-être et le moins compris des livres de Camus". 
Il réhabilite Albert Camus comme un des plus grands intellectuels du XXème siècle, en soulignant le rôle important qu'il jouait pour les autres penseurs de son temps "On vivait pour ou contre sa pensée, mais toujours à travers elle".
Enfin, Jean-Paul Sartre décrit Camus comme un être trop prudent , qui refusait de s'engager concrètement mais qui , par son engagement , rappelait les valeurs morales de l'homme.
"Il refusait de quitter le sûr terrain de la moralité et de s'engager dans les chemins incertains de la pratique. Son humanisme têtu,étroit et pur,austère et sensuel,livrait un combat douteux contre les évènements massifs et difformes de ce temps.Mais, inversement, par l'opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait , au coeur de notre époque, contre les machiavéliens, contre le veau d'or du réalisme,l'existence du fait moral".
En conclusion , rappelons comment Sartre considérait Camus, avant la rupture de leur amitié :
"Vous avez été pour nous l'admirable conjonction d'une personne, d'une action et d'une oeuvre. C'était en 1945 : on découvrait Camus, le résistant, comme on avait découvert Camus, l'auteur de l'Etranger. Et, lorsqu'on rapprochait le rédacteur du Combat clandestin de ce Meursault qui poussait l'honnêteté jusqu'à refuser de dire qu'il aimait sa mère, sa maîtresse, et que notre société condamnait à mort , lorsqu'on savait , surtout, que vous n'aviez cessé d'être ni l'un ni l'autre, cette apparente contradiction qui nous faisait progresser dans la connaissance de nous mêmes et du monde, vous n'étiez pas loin d'être exemplaire. Car vous résumiez en vous les conflits de l'époque et vous les dépassiez par votre ardeur à les vivre".

Sartre et Camus : la rupture

Jean-Paul Sartre et Albert Camus montrent , au fil des évènements, des prises de position différentes. Leurs livres reflètent peu à peu leurs discordances et annoncent la fin d'une histoire d'amitié commencée en 1943. Sartre condamne la violence des dirigeants et approuve toute violence exercée par les opprimés. Partisan de la révolution, refusant de perdre son temps en bavardages sur la violence , qu'il trouve démoralisants et corrupteurs, Sartre est devenu le porte parole des opprimés.Ainsi, si Camus met toute son énergie à écrire contre la violence quelle qu'elle soit alors que Sartre adopte la violence révolutionnaire.

" La brouille définitive , c'est quand il a publié son ouvrage l'Homme révolté." Sartre


L'Homme révolté est publié en 1951. Dès lors, Jeanson , qui travaille pour Sartre au Temps Modernes, rédige un article de vingt et une pages critiquant l'oeuvre de Camus mais plus particulièrement l'homme. Ainsi , le titre de l'article est : Albert Camus ou l'âme révolté.

"On voit que cette étrange conception de l'Histoire revient à la supprimer en tant que telle. A vrai dire, il s'agit d'éliminer toute situation concrète, pour obtenir un pur dialogue d'idées : d'une part la protestation métaphysique contre la souffrance et la mort, d'autre part, la tentation également métaphysique de la toute puissance. La première constitue la vraie révolte, la seconde sa perversion révolutionnaire." Jeanson


Camus trouvait dans la critique de Jeanson, la rupture implicite de Sartre avec lui. Il publie une réponse de dix-sept pages  le 30 juin 1952. Albert Camus adresse une réponse à Jean-Paul Sartre et non à Jeanson car pour lui , Sartre n'a pu que soutenir son collaborateur. La seconde partie de sa lettre, s'attaque directement au vrai problème qui divise les deux intellectuels : le soutien de Sartre au communisme. Ainsi, Camus critique dans un premier temps, les Temps Modernes et leurs mauvaises interprétations de son livre puis il combat directement Sartre, l'homme et l'intellectuel.

"Il me paraît difficile en tout cas , si l'on est d'avis que le socialisme autoritaire est l'experience revolutionnaire principale de notre temps, de ne pas se mettre en règle avec la terreur qu'il suppose, aujourd'hui précisément et par exemple, avec le fait concentrationnaire". Camus


Sartre annonce que l'amitié a été brisée non par la critique de Jeanson mais par l'attaque de Camus envers lui. 


"Mon cher Camus, notre amitié n'était pas facile , mais je la regretterai si vous la rompez aujourd'hui..." Sartre


Jean-Paul Sartre publie un article de vingt pages dénonçant les failles d'Albert Camus sans aucune retenue. Sartre accuse Camus d'être un anticommuniste et il défend sa position politique en montrant que l'histoire n'est pas amputable à un seul responsable mais à tous les hommes.

" A mon idée,le scandale des camps nous met tous en cause. Vous comme moi." Sartre


Cependant,  Jean-Paul Sartre,  rappelle ce qu'Albert Camus a été pour lui :

" Vous résumiez en vous les conflits de l'époque et  vous les dépassiez par votre ardeur à les vivre".

Ensuite , Sartre accuse Camus de ne pas distinguer maîtres et esclaves, d'où la position compliquée d'Albert Camus dans la guerre d'Indochine.

" S'il faut appliquer vos principes, les Vietnamiens sont colonisés donc esclaves mais ils sont communistes donc tyrans " Sartre


Puis, Sartre proteste contre l'absence de révolte de Camus , qui conteste le monde en épargnant les hommes  et cherche une solution en Dieu :

" Vous vous révoltiez contre la mort , mais dans les ceintures de fer qui entourent les villes , d'autres hommes se révoltaient contre les conditions sociales qui augmentent le taux de mortalité . Un enfant mourait, vous accusiez l'absurdité du monde et ce Dieu sourd et aveugle que vous aviez crée pour pouvoir lui cracher à la face; mais le père de l'enfant, s'il était chômeur ou manoeuvre, accusait les hommes : il savait bien que l'absurdité de notre condition  n'est pas la même à Passy et à Billancourt".

 Enfin, Jean-Paul Sartre termine sa lettre par une note définitive et significative, mettant un terme final à leur amitié.

"De toute façon il était bon que je puisse vous dire ce que je pensais. La revue vous est ouverte si vous voulez me répondre, mais moi, je ne vous répondrai plus.J'ai dit ce que vous avez été pour moi et ce que vous êtes à présent.Mais quoi que vous puissiez dire ou faire en retour , je me refuse à vous combattre. J'espère que notre silence fera oublier cette polémique". Sartre


samedi 22 janvier 2011

Sartre et Camus : le début d'une histoire d'amitié

Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont deux grands intellectuels du XXème siècle.
 En juin 1943, ils se rencontrent lors de la première des Mouches , pièce de théâtre de Sartre. Albert Camus a consacré quelques années auparavant à Sartre. Jean-Paul Sartre a , quant à lui , publié un article sur l'oeuvre de Camus : l'Etranger,le Mythe de Sisyphe...La rencontre est brève et à l'instigation de Camus : "Je suis Camus".Sartre le trouve de suite "une personnalité très agréable".
En novembre 1943, Albert Camus rejoint Paris pour travailler comme lecteur chez Gallimard qui est son éditeur et , coïncidence , celui de Jean-Paul Sartre.


La première rencontre  a lieu réellement au café de Flore , lieu de travail de Sartre. Ils échangent leurs avis sur le recueil de poèmes de Francis Ponge : Le Parti pris des choses. C'est, cependant,  de la passion de Camus pour le théâtre qui offrit  aux deux intellectuels de s'ouvrir l'un à l'autre. En effet, Albert Camus, a dirigé une troupe de théâtre politique amateur à Alger.Jean-Paul Sartre lui parla alors de Huis Clos et lui proposa de jouer le héros et de la mettre en scène. Camus accepta. Ils répètent ensemble dans une pièce dans la chambre d'hôtel de Simone de Beauvoir, afin de produire par la suite, une tournée à petit budget. Sartre est satisfait de la prestation d'Albert Camus mais son principal financier est arrêté pour cause d'appartenance à un réseau de Résistance. Jean-Paul Sartre a alors l'opportunité de présenter sa pièce sur une scène parisienne dans une production professionnelle et Camus accepte avec élégance de se retirer.
En octobre 1938, Camus découvre Sartre grâce au roman La Nausée dont il écrit un article dans un quotidien de gauche algérien. L'analyse d'Albert Camus est empreinte d'éloges mais également de déception. En effet, bien qu'il partage les objectifs de Sartre , il considère La Nausée comme l'échec numéro un de cette première période de Sartre. Selon Camus :" Sartre s'appesantit sur les caractéristiques abjectes de l'humanité, au lieu de fonder sur certaines de ses grandeurs des raisons de désespérer". De plus , Camus apprécie peu "l'inadéquation comique de la tentative finale de Roquentin qui prétend retrouver l'espoir dans l'art , estimant que l'art est trivial quand on le compare à certains des plus beaux et des plus salvateurs moments de la vie". C'est ce qu'il appelle la négativité sartrienne. Cependant, son admiration conclue son article : "Au reste, c'est ici le premier roman d'un ecrivain dont on peut tout attendre. Une souplesse si naturelle à se maintenir aux extrémités de la pensée consciente; une lucidité si douloureuse, révèlent des dons sans limites. Cela suffit pour qu'on aime La Nausée comme le premier appel d'un esprit singulier et vigoureux dont nous attendons avec impatience les oeuvres et les leçons à venir". En février 1939, Albert Camus publie un autre article sur la seconde oeuvre de Sartre : Le Mur. Camus vante la lucidité de Sartre. Il admire la manière que Jean-Paul Sartre a de dépeindre l'absurdité de l'existence ainsi que l'incapacité de ses personnages à faire usage de leur liberté. Camus qualifie les nouvelles de Sartre comme donnant aux lecteurs "cette liberté supérieure et ridicule qui mène les personnages à leur propre fin". Sartre y décrit une condition humaine vouée à l'absurde  mais refuse de s'y résigner.

" Un roman n'est rien d'autre que de la philosophie exprimée en images..." Albert Camus 


A l'automne 1942, se produit la rencontre littéraire entre les deux intellectuels. Cette année marque pour Jean-Paul Sartre la découverte de l'oeuvre littéraire d'Albert Camus. Sartre va consacrer à l'Etranger une critique approfondie de 6000 mots. " Il n'est pas une détail inutile, pas un qui ne soit repris par la suite et versé au débat ; et , le livre fermé , nous comprenons qu'il ne pouvait pas commencer autrement , qu'il ne pouvait pas avoir un autre fin : dans ce monde qu'on veut nous donner comme absurde et dont on a soigneusement extirpé la causalité, le plus petit incident a du poids ; il n'en est pas un qui ne contribue à conduire le héros vers le crime et vers l'execution capitale. L'Etranger est une oeuvre classique, une oeuvre d'ordre, composée à propos de l'absurde et contre l'absurde."De plus il rapprocha le Mythe de Sisyphe de la philosophie."L'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le monde,si on les prend à part ; mais comme c'est le caractère essentiel de l'homme que d'être dans le monde, l'absurde , pour finir, ne fait qu'un avec la condition humaine. Aussi n'est il point d'abord l'objet d'une simple notion : c'est une illumination désolée qui nous le révèle. "Lever,tramway,quatre heures de travail, repas,sommeil et lundi, mardi, mercredi, jeudi ,vendredi, samedi sur le même rythme..." . 


Malgré ces différentes éloges , les deux intellectuels mettent à jour leurs discordances. La première relève de la conception du monde. Tout deux sont d'accord sur l'absurdité de l'existence.Cependant, Camus a une approche davantage sensuelle alors que Sartre révèle un dégoût profond pour la réalité corporelle. De plus , l'oeuvre d'Albert Camus est empreinte de luminosité, de plaisir charnel tandis que l'oeuvre sartrienne est caractérisée par sa morosité , son obscurité et son détachement.La seconde réside dans la nature littéraire des  deux intellectuels : Sartre est un philosophe , Camus un romancier. Les deux intellectuels sont pourtant très proches et Camus intègre rapidement le groupe littéraire de Sartre appelé "la famille". Quant à Jean-Paul Sartre, il accepta l'invitation de Camus de rejoindre le jury du nouveau prix de la Pléiade crée par Gallimard.







dimanche 16 janvier 2011

Présentation des Temps Modernes par Sartre

 http://palimpsestes.fr/gauche/temps_modernes.pdf

Les temps modernes

Jean Paul Sartre fonde en 1945  avec Maurice Merleau-Ponty la revue Les temps modernes.
Cette revue permet au comité qui entoure Sartre de publier de nombreuses oeuvres et articles.

« une époque, comme un homme, c'est d'abord un 
avenir ».


Ce comité est composé de :
- Simone de Beauvoir
- Raymond Aron
- Michel Leiris
- Albert Olivier
- Jean Paulhan


Les temps modernes publient des articles aux sujets internationaux : Allemagne, USA, Vietnam...Il s'agit d'un journal représentant la politique et la culture de gauche en France.


"L'engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature "


La revue est publiée chez de nombreux éditeurs tels :
- Gallimard 1945 - 1948
- Julliard 1949 - 1965
- Presses d'aujourd'hui 1965 - 1985
- Gallimard 1985 - à nos jours


Sartre pose dès le départ le principe de la responsabilité de l'intellectuel dans son temps et de la littérature engagée.

« Puisque l'écrivain n'a aucun moyen de s'évader, nous voulons qu'il embrasse étroitement son époque […] Il faut faire en sorte que, l'homme puisse, en toutes circonstances, choisir sa vie. C'est à défendre l'autonomie et les droits de la personne que notre revue se consacrera »


Les principaux thèmes de la revue Les temps modernes sont :
- lutte anticolonialiste notamment celle contre la guerre d'Algérie
- polémique contre le structuralisme
- querelles autour du marxisme
- soutiens aux révoltes hongroises et polonaises
- réflexions sur l'avenir de la gauche
- réflexions sur la société industrielle
- réflexions sur le Tiers Monde



La revue varie ses rubriques pour assurer aux lecteurs une diversité
 intellectuelle : témoignages, exposés, notes...Ainsi , Simone de Beauvoir surnomme les rédacteurs du journal des " chasseurs de sens".

dimanche 2 janvier 2011

Dans la rue des blancs manteaux


Dans la rue des blancs manteaux est une chanson écrite par Sartre en 1944 , durant la seconde guerre mondiale. La musique est de Joseph Kosma et la plus célèbre des interprétations revient à Juliette Gréco , qui la rendit célèbre. Les Frères Jacques sont les premiers à l'avoir interprétée.
C'est une chanson qui traite de la mise en place des outils de la peine de mort. Il s'agit d"une reference à la revolution française et d'une denonciation de la peine capitale.
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Ils ont élevé des tréteaux
Et mis du son dans un seau
Et c'était un échafaud
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Le bourreau s'est levé tôt
C'est qu'il avait du boulot
Faut qu'il coupe des généraux
Des évêques, des amiraux,
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Sont v'nues des dames comme il faut
Avec de beaux affûtiaux
Mais la tête leur f'sait défaut
Elle avait roulé d'son haut
La tête avec le chapeau
Dans l'ruisseau des Blancs-Manteaux