jeudi 23 juillet 2015

L'existentialisme sartrien et Huis clos

Jean-Paul Sartre

De l’Existentialisme est un humanisme à Huis clos



Qu’est-ce que l’existentialisme sartrien ?

L’existentialisme  est une  doctrine qui rend la vie humaine possible, qui redonne à l’homme toute sa subjectivité. Sartre axe sa philosophie sur cette foi en l’Homme. J’ai choisi d’exposer la théorie sartrienne en m’appuyant sur des paroles de l’auteur.
« L’existence précède l’essence »  à chaque homme répond au même concept, celui de l’humanité mais il se définit d’abord par ses actes. Ainsi, l’homme est responsable de ce qu’il est.  De plus, le subjectivisme engage non seulement celui qui se choisit, se définit mais également l’humanité car tout individualisme a une influence sur le collectif, tout homme se pense et se définit par rapport à sa conception de l’homme, de l’humanité. L’homme, l’individu est une image de l’homme, de tous les hommes en tant qu’il répond au même concept, celui du genre humain.
« L’homme est angoisse » à tout homme agit. Son action est guidée par sa conscience mais elle a une portée universelle puisque l’homme est entouré d’autres hommes. Sartre appelle « mauvaise foi », l’homme qui n’admet pas que son action engage tous les hommes et donc a une influence sur l’avenir de l’homme.
« L’homme est condamné à être libre » à l’homme est condamné car il ne s’est pas créé ; il est libre car il est seul responsable de ses actes. L’homme est condamné car il n’a pas choisi de répondre au concept de genre humain, d’y appartenir, d’avoir une telle identité mais l’homme est libre car il se détermine, il se définit à défaut de se choisir.
« L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie » à  l’espoir est vain. Il ne faut pas croire, il faut agir. La certitude du lendemain n’existe pas mais la certitude de l’acte oui. Seul l’acte, parce qu’il est attesté, mesurable, identifiable, existe. L’espoir n’est qu’illusion, seule l’engagement est vérité, réalité, humanité.
Sartre réaffirme donc le cogito cartésien « Je pense donc je suis », toute vérité est vérité car je l’ai décidé. L’existence de l’homme est déterminée par l’homme lui-même en tant qu’il l’a décidé, par ses actions, son engagement, ses choix. Mais Sartre dépasse la théorie cartésienne en affirmant que l’homme ne se connaît, se ne reconnaît que parce que les autres le voient ainsi. L’homme existe par ses actes mais seulement tant que ses actes sont partagés par les autres. Nous ne sommes que ce que les autres se représentent de nous, et cette représentation est déterminée par nos actes.
 L’homme s’inscrit dans la condition humaine, en ce sens, il est de même essence que les autres hommes, mais son existence s’inscrit elle, dans une situation. L’homme se construit par ses actes, par ses choix dans une situation donnée. La condition humaine ne change pas, l’homme est toujours homme mais l’individu évolue selon la situation dans laquelle il s’inscrit et se détermine par rapport à elle. Ainsi, Sartre distingue l’être de l’homme, l’individu. L’être est un caractère universel, l’homme est subjectif, il est libre et responsable. L’être humain recouvre une réalité non choisie tandis que l’homme en tant qu’individu se définit précisément par ses choix. Cependant, l’un ne s’entend pas sans l’autre, c’est en ce sens que l’individu n’existe que par l’autre, puisqu’il se construit, évolue dans un rapport avec l’autre[1] . La condition humaine regroupant l’ensemble d’individus, il est évident que la représentation de l’un est déterminée par la perception des autres, cette dernière évoluant et se fixant selon les actes de l’individu en question.
Ainsi, on comprend mieux pourquoi l’existentialisme est un humanisme puisque l’homme existe parce qu’il est et évolue avec autrui. Cette philosophie sartrienne est mise en scène dans son théâtre et plus spécifiquement dans Huis clos.


En quoi Huis clos est-il la démonstration de l’existentialisme sartrien ?

Huis clos est une pièce de théâtre datant de 1944 écrite par Jean-Paul Sartre. Elle raconte l’histoire de trois individus, Garcin, Inès et Estelle, réunis dans une chambre d’hôtel située en enfer. Les personnages sont donc des morts-vivants capables de visualiser la vie sur terre. Ils sont ensemble pour l’éternité, l’enfer étant hors du temps terrestre. Tous les trois sont condamnés en raison des actes qu’ils ont commis lorsqu’ils étaient en vie. Il n’y a pas d’intrigue, seule la discussion entre les trois protagonistes anime la pièce.  Cette dernière se termine par une amère constatation : les choix d’un individu dont découlent ses actes définissent son existence, et plus encore, l’homme. Ainsi, Huis clos invite le spectateur à engager une réflexion sur l’homme et son rapport au monde, et donc rejoint par ce fait, la théorie sartrienne de l’existentialisme.

I.                   Un théâtre à la croisée des genres


Huis clos est une mise en scène de l’enfer qui recoupe deux genres littéraires : le fantastique et le réalisme. Le fantastique est présent dans le récit parce qu’il plonge les personnages principaux dans un lieu dont le temps est absent puisque l’enfer est éternité mais également un lieu qui, bien qu’éloigné du monde du vivant de par sa nature, l’enfer accueille les hommes décédés ayant commis un crime, reste connecté à ce dernier. En effet,  de nombreuses reprises, les protagonistes peuvent observer la vie, les personnes qu’ils côtoyaient, les lieux qu’ils fréquentaient. Enfin, Sartre propose un enfer dans lequel les hommes restent conscients de leurs actes, de leurs vies, ils peuvent échanger entre eux et gardent leurs apparences physiques, ce qui atteste du décalage entre leurs situations –morts- et leurs apparences –vivantes-. Cependant, Huis clos est également une pièce réaliste puisque de nombreux objets ornent la chambre dans laquelle sont enfermés les personnages, tels le bronze par exemple. De plus, les protagonistes gardent un langage familier, du quotidien. La fiction semble se dissoudre dans les paroles des personnages afin de créer l’illusion d’un enfer qui ne serait que la reproduction de la vie sur terre mais avec un éternel recommencement.

II.               Un théâtre de situation


Sartre qualifie lui-même son théâtre de théâtre de situation[2]. Ce dernier se définit à la fois par sa moralité mais également par sa représentation.
L’engagement est pour Sartre à l’origine de l’homme puisque ce dernier doit faire des choix pour exister. De ce présupposé, le théâtre sartrien en fait l’écho puisque le choix ou la morale en action définit l’homme. Ainsi, les protagonistes de Huit clos se retrouvent en enfer car ils ont fait de mauvais choix, non pour eux-mêmes mais bien pour la communauté humaine. Ce dernier point est la pierre angulaire de l’édifice sartrien puisque l’engagement de chacun doit être en fonction de l’engagement d’autrui : il n’y a pas de bons ou mauvais choix par essence mais bien selon le rapport que «  soi » entretient avec autrui. Sartre nomme cette équation le « pour-soi » et « pour-autrui ». C’est véritablement lorsqu’il y a un conflit entre le « pour soi » et « pour autrui » que « l’enfer c’est les autres ». Ainsi, Huis clos, met en abîme l’existentialisme à travers le prisme de trois assassins : Garcin, le lâche et déserteur ; Inès, la lesbienne sadique et Estelle, l’infanticide intéressée. Enfin, à cet existentialisme, Sartre ajoute la notion d’humanisme, en montrant que l’homme est condamné à être avec l’autre. L’individualisme et l’isolement ne sont que des illusions car l’existence ne peut s’accomplir qu’avec autrui. Sartre dépasse dans Huis clos l’existence terrienne en ancrant ses personnages en enfer : il démontre ici que l’homme n’est et ne sera jamais seul qu’avec autrui, d’où l’importance de ses choix qui le définissent et déterminent son état de conscience. Par état de conscience j’entends le fait du repos de l’âme qui est désiré dans Huis clos mais ne sera jamais atteint puisque les personnages n’ont pas fait les bons choix et seront éternellement jugés pour cela. Sartre propose donc dans Huis clos une démonstration par l’absurde, puisque les personnages sont morts mais « vivent » éternellement en enfer, de ce qu’est la condition humaine.
Outre le théâtre de l’engagement, Huis clos est également un théâtre de représentation. Il ne s’agit pas d’inscrire le théâtre dans la continuité du genre littéraire en proposant une intrigue et un dénouement. Sartre ne répond ni à l’un ni à l’autre. Il entend montrer l’homme aux spectateurs afin de leurs donner à réfléchir sur l’existence et la conscience humaine. Tout est épuré dans Huis clos afin d’orienter le spectateur vers l’analyse. Huis clos s’oppose en cela au théâtre dit d’imitation dans lequel le spectateur doit être convaincu d’une représentation fidèle de la réalité. A ce propos, Sartre dit « L’écrivain ne doit pas chercher, sinon il est en contradiction avec lui-même ; s’il veut exiger, il faut qu’il propose seulement la tâche à remplir. De là, ce caractère de pure représentation qui paraît essentiel à l’œuvre d’art[3] ». Ainsi, le théâtre sartrien dépasse le théâtre classique puisqu’il n’entend pas montrer la réalité de la nature humaine mais la démontrer et surtout engager le spectateur dans cette démonstration.






[1] l’être qui n’est pas lui dans sa subjectivité mais qui le rejoint dans sa condition
[2] Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ? (Gallimard, 1948, p.313 et suivantes)
[3] Sartre, Situations II, Qu’est-ce que la littérature ? (Gallimard, 1948, p.99)

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