samedi 22 janvier 2011

Sartre et Camus : le début d'une histoire d'amitié

Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont deux grands intellectuels du XXème siècle.
 En juin 1943, ils se rencontrent lors de la première des Mouches , pièce de théâtre de Sartre. Albert Camus a consacré quelques années auparavant à Sartre. Jean-Paul Sartre a , quant à lui , publié un article sur l'oeuvre de Camus : l'Etranger,le Mythe de Sisyphe...La rencontre est brève et à l'instigation de Camus : "Je suis Camus".Sartre le trouve de suite "une personnalité très agréable".
En novembre 1943, Albert Camus rejoint Paris pour travailler comme lecteur chez Gallimard qui est son éditeur et , coïncidence , celui de Jean-Paul Sartre.


La première rencontre  a lieu réellement au café de Flore , lieu de travail de Sartre. Ils échangent leurs avis sur le recueil de poèmes de Francis Ponge : Le Parti pris des choses. C'est, cependant,  de la passion de Camus pour le théâtre qui offrit  aux deux intellectuels de s'ouvrir l'un à l'autre. En effet, Albert Camus, a dirigé une troupe de théâtre politique amateur à Alger.Jean-Paul Sartre lui parla alors de Huis Clos et lui proposa de jouer le héros et de la mettre en scène. Camus accepta. Ils répètent ensemble dans une pièce dans la chambre d'hôtel de Simone de Beauvoir, afin de produire par la suite, une tournée à petit budget. Sartre est satisfait de la prestation d'Albert Camus mais son principal financier est arrêté pour cause d'appartenance à un réseau de Résistance. Jean-Paul Sartre a alors l'opportunité de présenter sa pièce sur une scène parisienne dans une production professionnelle et Camus accepte avec élégance de se retirer.
En octobre 1938, Camus découvre Sartre grâce au roman La Nausée dont il écrit un article dans un quotidien de gauche algérien. L'analyse d'Albert Camus est empreinte d'éloges mais également de déception. En effet, bien qu'il partage les objectifs de Sartre , il considère La Nausée comme l'échec numéro un de cette première période de Sartre. Selon Camus :" Sartre s'appesantit sur les caractéristiques abjectes de l'humanité, au lieu de fonder sur certaines de ses grandeurs des raisons de désespérer". De plus , Camus apprécie peu "l'inadéquation comique de la tentative finale de Roquentin qui prétend retrouver l'espoir dans l'art , estimant que l'art est trivial quand on le compare à certains des plus beaux et des plus salvateurs moments de la vie". C'est ce qu'il appelle la négativité sartrienne. Cependant, son admiration conclue son article : "Au reste, c'est ici le premier roman d'un ecrivain dont on peut tout attendre. Une souplesse si naturelle à se maintenir aux extrémités de la pensée consciente; une lucidité si douloureuse, révèlent des dons sans limites. Cela suffit pour qu'on aime La Nausée comme le premier appel d'un esprit singulier et vigoureux dont nous attendons avec impatience les oeuvres et les leçons à venir". En février 1939, Albert Camus publie un autre article sur la seconde oeuvre de Sartre : Le Mur. Camus vante la lucidité de Sartre. Il admire la manière que Jean-Paul Sartre a de dépeindre l'absurdité de l'existence ainsi que l'incapacité de ses personnages à faire usage de leur liberté. Camus qualifie les nouvelles de Sartre comme donnant aux lecteurs "cette liberté supérieure et ridicule qui mène les personnages à leur propre fin". Sartre y décrit une condition humaine vouée à l'absurde  mais refuse de s'y résigner.

" Un roman n'est rien d'autre que de la philosophie exprimée en images..." Albert Camus 


A l'automne 1942, se produit la rencontre littéraire entre les deux intellectuels. Cette année marque pour Jean-Paul Sartre la découverte de l'oeuvre littéraire d'Albert Camus. Sartre va consacrer à l'Etranger une critique approfondie de 6000 mots. " Il n'est pas une détail inutile, pas un qui ne soit repris par la suite et versé au débat ; et , le livre fermé , nous comprenons qu'il ne pouvait pas commencer autrement , qu'il ne pouvait pas avoir un autre fin : dans ce monde qu'on veut nous donner comme absurde et dont on a soigneusement extirpé la causalité, le plus petit incident a du poids ; il n'en est pas un qui ne contribue à conduire le héros vers le crime et vers l'execution capitale. L'Etranger est une oeuvre classique, une oeuvre d'ordre, composée à propos de l'absurde et contre l'absurde."De plus il rapprocha le Mythe de Sisyphe de la philosophie."L'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le monde,si on les prend à part ; mais comme c'est le caractère essentiel de l'homme que d'être dans le monde, l'absurde , pour finir, ne fait qu'un avec la condition humaine. Aussi n'est il point d'abord l'objet d'une simple notion : c'est une illumination désolée qui nous le révèle. "Lever,tramway,quatre heures de travail, repas,sommeil et lundi, mardi, mercredi, jeudi ,vendredi, samedi sur le même rythme..." . 


Malgré ces différentes éloges , les deux intellectuels mettent à jour leurs discordances. La première relève de la conception du monde. Tout deux sont d'accord sur l'absurdité de l'existence.Cependant, Camus a une approche davantage sensuelle alors que Sartre révèle un dégoût profond pour la réalité corporelle. De plus , l'oeuvre d'Albert Camus est empreinte de luminosité, de plaisir charnel tandis que l'oeuvre sartrienne est caractérisée par sa morosité , son obscurité et son détachement.La seconde réside dans la nature littéraire des  deux intellectuels : Sartre est un philosophe , Camus un romancier. Les deux intellectuels sont pourtant très proches et Camus intègre rapidement le groupe littéraire de Sartre appelé "la famille". Quant à Jean-Paul Sartre, il accepta l'invitation de Camus de rejoindre le jury du nouveau prix de la Pléiade crée par Gallimard.







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