dimanche 13 février 2011

Le prix nobel de littérature et le refus de Sartre



En 1964, Jean-Paul Sartre publie "Les Mots".
Le 10 décembre 1964, Jean-Paul Sartre remporte le prix nobel de littérature. Il le refuse aussitôt. C'est la première fois qu'un lauréat décline cette distinction.
Au mois d'octobre 1964, Sartre est officiellement inscrit sur la liste des nominations pour le prix nobel de littérature.
 En apprenant cette nouvelle, le 14 octobre 1964, Jean-Paul Sartre écrit une lettre à l'académie suédoise en déclarant souhaiter ne pas être nominé.

Monsieur le Secrétaire,
D'après certaines informations dont j'ai eu connaissance aujourd'hui, j'aurais cette année quelques chances d'obtenir le prix Nobel. Bien qu'il soit présomptueux de décider d'un vote avant qu'il ait eu lieu, je prends à l'instant la liberté de vous écrire pour dissiper ou éviter un malentendu. Je vous assure d'abord, Monsieur le secrétaire, de ma profonde estime pour l'académie suédoise et le prix dont elle a honoré tant d'écrivains. Toutefois pour des raisons qui me sont personnelles et pour d'autres qui sont plus objectives, je désire ne pas figurer sur la liste des lauréats possibles et je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus tard, accepter cette distinction honorifique.
Je vous prie, Monsieur le secrétaire d'accepter mes excuses et de croire à ma très haute considération."



Malheureusement, la lettre ne fut pas ouverte et le 22 octobre , Jean-Paul Sartre est désigné lauréat du prix nobel de littérature.
 En décembre 1964, Sartre ne se présente pas à la cérémonie de remise de prix en Suède. Il écrit rapidement une seconde lettre expliquant son attitude et son refus.

"Je regrette vivement que l'affaire ait prix une apparence de scandale : un prix est distribué et quelqu'un le refuse. J'y ai invoqué deux sortes de raisons : des raisons personnelles et des raisons objectives.
Les raisons personnelles sont les suivantes : mon refus n'est pas un acte improvisé. J'ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque après la guerre, en 1945, on m'a proposé la légion d'honneur, j'ai refusé bien que j'aie eu des amis au gouvernement. De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis.  Ce n'est pas la même chose si je signe Jean Paul Sartre ou si je signe Jean Paul Sartre prix Nobel. L'écrivain doit donc refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c'est le cas.
Mes raisons objectives sont les suivantes : Le seul combat actuellement possible sur le front de la culture est celui pour la coexistence pacifique des deux cultures, celles de l'est et celle de l'ouest. Je ne veux pas dire qu'il faut qu'on s'embrasse, je sais bien que la confrontation entre ces deux cultures doit nécessairement prendre la forme d'un conflit, mais elle doit avoir lieu entre les hommes et entre les cultures, sans intervention des institution. Mes sympathies vont indéniablement au socialisme et à ce qu'on appelle le bloc de l'est, mais je suis né et j'ai été élevé dans une famille bourgeoise.  J'espère cependant bien entendu que " le meilleur gagne ", c'est à dire le socialisme.
C'est pourquoi je ne peux accepter aucune distinction distribué par les hautes instances culturelles, pas plus à l'est qu'à l'ouest, même si je comprends fort bien leur existence. Bien que toutes mes sympathies soient du cote des socialistes, je serais donc incapable tout aussi bien d'accepter par exemple le prix Lenine si quelqu'un voulait me le donner, ce qui n'est pas le cas.  Pendant la guerre d'Algérie alors que nous avions signé le " Manifeste des 121 ", j'aurais accepté le prix avec reconnaissance, parce qu'il n'aurait pas honoré que moi mais aussi la liberté pour laquelle nous luttions. Mais cela n'a pas eu lieu et ce n'est qu'à la fin des combats que l'on me décernait le prix."

Quand, plus tard, un journaliste lui pose la question " Pourquoi avez vous refusez le prix nobel ?" , Sartre répond :

"J'ai refusé le Prix Nobel de littérature parce que je refusais que l'on consacre Sartre avant sa mort. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun homme ne mérite d'être consacré de son vivant, parce qu'il a le pouvoir et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m'aurait élevé sur un piédestal alors que je n'avais pas fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté et d'agir, de m'engager. Tout acte aurait été futile après, puisque déjà reconnu de façon rétrospective. Imaginez: un écrivain pourrait recevoir ce prix et se laisser aller à la déchéance, tandis qu'un autre pourrait devenir encore meilleur. Lequel des deux méritait son prix? Celui qui était au sommet et qui a redescendu la pente ou celui qui fut consacré avant d'atteindre le sommet? J'aurais pu être l'un des deux, et jamais personne n'aurait pu prédire ce que je ferais. On est ce que l'on fait. Je ne serai jamais récipiendaire du Prix Nobel, tant et aussi longtemps que je pourrai encore agir en le refusant."

Vidéo sur ce thème :


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