mercredi 3 août 2011

Les mots


Les mots est une autobiographie de Jean-Paul Sartre. Dans un premier temps, l'ouvrage fut publié en novembre-décembre 1963 dans les Temps Modernes puis en janvier 1964, chez Gallimard. Les mots sont le fruit d'une réflexion personnelle de Sartre qui tente d'expliquer sa passion pour la littérature et son attachement  à la profession d'écrivain. A l'origine, le texte devait s'intituler " Jean sans terre " , en référence à l'absence de père qui marqua son enfance et également, à son engagement politique, tourné vers le communisme. Cependant, selon Jean-Bertrand Pontalis, les mots traduisent le projet de Sartre de dénoncer son enfance bourgeoise, qui l'a conduit vers la littérature, car elle ne permet pas de mettre un terme aux malheurs des hommes.
Jean-Paul Sartre y décrit son enfance et le début de son adolescence soit de l'âge de quatre ans à l'âge de onze ans. Les mots recoupent deux parties : Lire et Ecrire.

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dimanche 27 mars 2011

Qu'est ce que la littérature ?


Jean-Paul Sartre publie pour la première fois  Qu'est ce que la littérature? en 1947 dans les Temps Modernes. En 1948, certaines modifications sont apportées à l'essai au cours d'une seconde publication dans Situation II ( recueil ) et seront plus tard , publiées en volume séparé.


Contexte historique :
- fin de la Seconde Guerre Mondiale 1945 = le monde est à reconstruire
- début de la Guerre Froide opposant l'URSS (communiste) et les États-Unis (capitaliste) = menace d'une troisième guerre mondiale
- début des décolonisations, en particulier en 1946 , début de la guerre d'Indochine qui oppose la France ( pays colonisateur ) et l'Indochine ( pays colonisé) = conflit entre opposant et partisan de la colonisation
---> Sartre est un intellectuel engagé. Il affirme ses opinions notamment à travers ses oeuvres. Communiste,  anti-bourgeois et s'opposant à la colonisation, il défend l'idée de la nécessité d'écrire pour exprimer ses pensées et les argumenter afin de faire avancer le monde : " J'écris pour mon époque".


Qu'est ce que la littérature ? fut écrit en réponse aux critiques d'écrivains qui se voulaient consternés par l'engagement de Sartre exprimé dans les Temps Modernes. "Et puisque les critiques me condamnent au nom de la littérature sans jamais dire ce qu'ils entendent par là, la meilleure réponse à leur faire , c'est d'examiner l'art d'écrire, sans préjugés. Qu'est-ce qu'écrire ? Pourquoi écrit-on ? Pour qui ? Au fait, il semble que personne ne se le soit jamais demandé."


Partie I : Qu'est ce qu'écrire ?

"C'est une chose que de travailler avec des couleurs ou des sons, c'en est une autre de s'exprimer par des mots".

* La peinture exprime à travers une chose un signe. Le fait qu'elle soit précisément "chose" et non "signe" empêche de distinguer ou d'exprimer un langage proprement dit. Ainsi, on perçoit le tableau dans son ensemble et le "signe" devient objet de l'art et non plus singularité.

* La mélodie est à la fois le récit, l'expérience d'un état et l'état lui-même. " Un chant de douleur est à la fois la douleur elle-même et autre chose que la douleur (...) c'est une douleur qui n'existe plus, qui est".

* Le peintre représente la chose et laisse aux autres l'imagination pour la comprendre et en déchiffrer le signe. L'écrivain exprime avec des mots le signe, il le déchiffre et le donne comme explication aux autres."On ne peint pas les significations , on ne les met pas en musique ; qui oserait, dans ces conditions, réclamer du peintre ou du musicien qu'ils s'engagent ? "

* La poésie est similaire à la peinture, la musique ou la sculpture. " On me reproche de la détester : la preuve en est, dit-on, que Les Temps Modernes publient fort peu de poèmes. C'est la preuve que nous l'aimons, au contraire." La poésie met en valeur les mots, la prose donne aux mots une valeur. Le signe révèle le monde, la vérité.  Le signe s'exprime à travers un langage, celui de l'écrivain. Le poète ne cherche pas un langage, il cherche à créer de l'art avec des mots. Les mots ne sont alors plus signes mais deviennent choses. "L'ambiguïté du signe implique qu'on puisse à son gré le traverser comme une vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée ou tourner son regard vers sa réalité et le considérer comme objet. L'homme qui parle est au delà des mots, près de l'objet ; le poète est en deçà." Le poète utilise donc les mots, non pour leur signification, leur caractère mais pour l'image qu'ils représentent. Le mot est choisit délibérément par le poète : c'est un choix de réflexion. Le mot n'apparaît plus comme une entité innée à l'homme : le poète matérialise le mot, il le rend outil d'un autre langage, le langage poétique. "Car le mot, qui arrache le prosateur à lui-même et le jette au milieu du monde, renvoie au poète, comme un miroir, sa propre image".

* "L'art de la prose s'exerce sur le discours, sa matière est naturellement signifiante : c'est à dire que les mots ne sont pas d'abord des objets, mais des désignations d'objets". L'écrivain cherche à transmettre, à travers les mots, une idée. Il ne pense pas à l'esthétique du langage, il pense au langage brut, au sens des mots. Son but étant de communiquer : il met le langage au service de sa réflexion. " Nous sommes dans le langage comme dans notre corps ; nous le sentons spontanément en le dépassant vers d'autres fins." Le langage permet d'interagir avec le monde. L'essence même du métier d'écrivain est la recherche d'une interaction commune, entre les lecteurs et l'écrivain, autour d'une réflexion particulière. Il ne s'agit pas de montrer l'art, mais de le partager. Ce partage est réfléchi. Chaque écrit doit avoir une certaine consistance afin de pouvoir justifier sa fonction communicative.

* "Parler c'est agir : toute chose qu'on nomme n'est déjà plus tout à fait la même, elle a perdu son innocence". L'écrivain, en dénonçant sa réflexion sur un sujet particulier, permet de donner une nouvelle impulsion aux choses car il apporte un nouveau sens, une nouvelle signification qui lui est propre. Le fait même de réfléchir sur une chose permet donc à l'écrivain de s'engager car il ne se contente pas d'exposer une chose, il en prend connaissance et se l'approprie." A chaque mot que je dis, je m'engage un peu plus dans le monde, et du même coup, j'en émerge un peu davantage puisque je le dépasse vers l'avenir ". L'écrivain ne peut pas être objectif : il choisit ce qu'il veut écrire. Cette subjectivité est donc consciente. Le travail de l'écrivain est de transmettre le mouvement perpétuel du monde, ses différentes significations. L'homme, contrairement à Dieu, est un sujet du monde. L'écrivain est donc le meilleur témoin de l'univers et de l'humanité." Se taire ce n'est pas être muet, c'est refuser de parler, donc parler encore". L'écrivain fait un choix : il choisit tels mots, tels sujets...Lorsqu'il décide de réfléchir sur un aspect du monde, il prend la décision de ne pas aborder tel autre aspect du monde. Cependant, son choix de réflexion interroge le lecteur sur ses omissions volontaires, ce qui est en soi, une autre manière d'écrire puisqu'il dirige le lecteur et son champ de réflexion.

* "On n'est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses mais pour avoir choisi de les dire d'une certaine façon". Le talent de l'écrivain, c'est de révéler sa réflexion par étapes et de rendre au lecteur le plaisir de la découvrir. L'écrivain pense d'abord, puis écrit ensuite. L'écriture est le résultat d'une réflexion, ce n'est jamais l'écriture qui précède la réflexion.  Ainsi, l'écrivain se concentre sur le fond avant de penser la forme.

*  Le génie de l'écrivain ne réside pas dans sa faculté à retranscrire une réflexion particulière mais à mettre en perspective l'Homme à travers cette réflexion. Donc, l'idée développée, réfléchie, écrite, n'est que secondaire. Le lecteur cherche dans l'écriture à percevoir l'écrivain, l'Homme. "Telle est donc la ''vraie'', la ''pure'' littérature : une subjectivité qui se livre sous les espèces de l'objectivité, un discours si curieusement agencé qu'il équivaut à un silence, une pensée qui se conteste elle-même, une Raison qui n'est que le masque de la folie, un Éternel qui laisse entendre qu'il n'est qu'un moment de l'Histoire."L'écrivain est avant tout un homme de son temps et son oeuvre doit être envisagée comme telle.


Partie II : Pourquoi écrire ?


* L'Homme est à l'origine de ses perceptions. Le monde, son unité, n'est définie que par l'Homme. "Mais si nous savons que nous sommes les détecteurs de l'être, nous savons aussi que nous n'en sommes pas les producteurs." Cependant, ces perceptions conscientes ne sont pas nécessaires au monde : l'univers survivra à l'Homme. Ainsi, l'Homme pense le monde mais il ne peut le dépasser. C'est cette contradiction consciente  qui fonde la première cause de l'écriture : l'Homme aspire à s'inscrire dans ce monde qu'il dévoile sans atteindre. L'écriture est en ce sens un facteur de création. Il devient donc "producteur". Pourtant, cette création, l'écrivain ne peut l'atteindre dans sa totalité." Même s'il apparaît aux autres comme définitif, l'objet crée nous semble toujours en sursis : nous pouvons toujours changer cette ligne, cette teinte, ce mot ; ainsi ne s'impose t-il jamais." L'écrivain ne peut dévoiler sa création car elle est subjective : elle émane de lui. Ainsi, seul le lecteur, autrui, peut dévoiler l'oeuvre de l'écrivain. L'Homme ne peut atteindre le monde dans son entité absolue " Ainsi, dans la perception, l'objet se donne comme l'essentiel et le sujet comme l'inessentiel ; celui-ci recherche l'essentialité dans la création et l'obtient, mais alors c'est l'objet qui devient l'inessentiel". L'écrivain pense l'histoire qu'il veut construire, il est le maître d'oeuvre de son art. Il en est explicitement attaché puisque l'histoire écrite n'existe que par lui, par sa plume. Il en connaît tous les secrets, en ce sens, il ne peut être surpris par cette histoire, contrairement aux lecteurs qui la découvre au fil des pages. Ainsi l'écrivain est un artiste dont la subjectivité créatrice n'est autre que la clef de l'histoire pour le lecteur. " Il n'est donc pas vrai qu'on écrive pour soi-même : ce serait le pire échec ; en projetant ses émotions sur le papier, à peine arriverait-on à leur donner un prolongement languissant." Néanmoins, l'histoire écrite est indissociable de l'histoire lue. En d'autre terme, l'histoire écrite ne peut exister, prendre forme que si l'histoire est lue. " C'est l'effort conjugué de l'auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu'est l'ouvrage de l'esprit. Il n'y a d'art que pour et par autrui."

* La lecture est l'aboutissement de l'écriture : elle rend vivante l'oeuvre, l'objet et dans le même temps en dévoile le sujet. La lecture concilie donc la création et la perception.Une lecture inefficace ne révèle que quelques parties de l'oeuvre et donc n'accomplie pas pleinement sa double fonction : création et perception absolue de l'objet littéraire. " L'objet littéraire, quoiqu'il se réalise à travers le langage, n'est jamais donné dans le langage ; il est, au contraire, par nature, silence et contestation de la parole." Le lecteur atteint les silences de l'oeuvre, ses sens cachés, sa profondeur par sa réflexion et son implication dans l'oeuvre lue. Il existe plusieurs silences émanant de l'oeuvre : le silence absolu, celui de l'inspiration créatrice de l'auteur ; le silence en tant qu'objet littéraire c'est à dire le sens profond de l'oeuvre puis les silences volontaires, les non-dits : " Il s'agit d'intentions si particulières qu'elles ne pourraient pas garder de sens en dehors de l'objet que la lecture fait paraître ; ce sont elles pourtant qui en font la densité et qui lui donnent un visage singulier. Elles sont précisément l'inexprimable." D'abord, le but d'une oeuvre littéraire est d'éveiller chez le lecteur son propre vécu. Le langage en est le outil littéraire. En effet, le langage littéraire traduit diverses attitudes, diverses actions et divers sentiments qui incitent le lecteur à s'identifier ou du moins à s'imaginer vivre l'histoire lue. La lecture révèle le lecteur à lui-même. " Puisque la création ne peut trouver son achèvement que dans la lecture, puisque l'artiste doit confier à un autre le soin d'accomplir ce qu'il a commencé, puisque c'est à travers la conscience du lecteur seulement qu'il peut se saisir comme essentiel à son oeuvre, tout ouvrage littéraire est un appel."  L'appel dont parle ici Sartre est un appel de l'écrivain aux lecteurs. En effet, il n'y a d'oeuvre littéraire que s'il y a lecteur car le lecteur dévoile l'histoire. Lire est un acte voulu, réfléchi.L'écrivain fait également appel à la liberté du lecteur. En effet, le lecteur est libre de choisir l'oeuvre littéraire qu'il souhaite lire. Cette liberté est essentielle au dévoilement de l'oeuvre.  

* L'imagination est suscitée par l'art mais elle en est dépendante dans le même temps. Le lecteur imagine ce que l'auteur est en mesure de lui proposer à imaginer. " L'oeuvre d'art n'a pas de fin (...) elle est une fin." L'art est le moyen par lequel le lecteur éprouve sa liberté : il choisit de s'investir dans l'histoire, il en choisit le jugement guidé par la trame narrative imposée par l'auteur. De plus, l'art révèle au lecteur sa liberté : son imagination retranscrit ses idées profondes ( envie, colère...) et donne à percevoir une autre vision de l'être, particulière à chaque lecteur : "Ainsi l'auteur écrit pour s'adresser à la liberté des lecteurs et il la requiert de faire exister son oeuvre".  En effet, si le lecteur peut imaginer c'est parce que l'auteur a crée. L'écrivain crée le contexte, le lecteur le déchiffre mais toujours en usant de sa liberté c'est à dire d'imaginer le corps de l'histoire avec l'âme donnée par la plume du créateur. " Ainsi à travers la causalité phénoménale, notre regard atteint la finalité, comme la structure profonde de l'objet et , au delà de la finalité, il atteint la liberté humaine comme sa source et son fondement originel."

* "L'erreur du réalisme a été de croire que le réel se révélait à la contemplation et que, en conséquence, on en pouvait faire une peinture impartiale." On ne peut dépeindre le monde qu'en le considérant : l'homme est conscient , il pense et de ce fait, sa pensée influence sa vision du monde. L'écrivain ne peut prétendre à l'impartialité mais l'univers qu'il propose au lecteur, bien qu'émergent d'une conscience particulière, suscite chez le lecteur une opinion particulière." Tout l'art de l'auteur est pour m'obliger à créer ce qu'il dévoile, donc à me compromettre. A nous deux, voilà que nous portons la responsabilité de l'univers." 

Partie III : Pour qui écrit-on ?


* "Chaque livre propose une libération concrète à partir d'une aliénation particulière". L'écriture et la lecture se rejoignent : l'écrivain écrit pour l'autre mais l'autre lit pour l'histoire. Ainsi, le principe fondateur de tout acte littéraire est cette volonté de partager l'histoire et de la défier en proposant d'autres façons de la raconter. C'est bien là une liberté que partage le lecteur et l'écrivain : partir d'une histoire donnée mais se la révéler par des moyens particuliers. L'aliénation est donc bien l'histoire et la liberté l'acte d'écriture et de lecture.

* La liberté est la faculté de choisir. "Car si l'aspect immédiat de la liberté est négativité on sait qu'il ne s'agit pas de la puissance abstraite de dire non, mais d'une négativité concrète qui retient en elle-même ce qu'elle nie et s'en colore tout entière". Ainsi, l'auteur et le lecteur se choisissent réciproquement puisque l'un répond aux exigences de l'autre. Ils interagissent par le biais du livre : l'un en écrivant, l'autre en lisant.

* Un écrivain engagé est un écrivain qui donne à réfléchir sur un sujet donné. " L'écrivain est médiateur par excellence et son engagement c'est la médiation". De plus, l'homme décide d'écrire : en ce sens, il est libre. Mais sa liberté se limite aux attentes des lecteurs et à la représentation sociale qui lui est associée. Son rôle est d'écrire. Être écrivain implique des obligations puisque l'on écrit pour autrui. Ainsi, l'engagement de l'écrivain réside dans le fait qu'il choisit de limiter sa liberté pour desservir les attentes d'autrui. L'oeuvre de l'écrivain est inestimable puisqu'il s'agit d'une oeuvre de l'esprit : sa finalité n'est pas utile mais réfléchie.

* "Car le passage au médiat qui ne peut se faire que par négation de l'immédiat est une perpétuelle révolution".L'écrivain met à nu une réalité et cette mise à nu, par l'analyse et la réflexion qu'elle engendre, donne à la réalité sa mouvance. Sartre distingue le public réel du public virtuel c'est à dire ceux à qui le livre s'adresse et ceux dont le livre parle. Parfois, les deux publics se rejoignent, ce qui limite la portée sociale et réflexive du livre.

* Est littéraire ce qui s'adresse aux hommes libres. Pour Sartre, lorsque la pensée devient crainte, intéressée ou respectueuse, ce n'est plus de la littérature. " La littérature est le mouvement par lequel, à chaque instant, l'homme se libère de l'histoire : en un mot, c'est l'exercice de la liberté." En effet, la littérature, par les réflexions qu'elle engendre, permet d'envisager l'homme comme sujet universel.

* Sartre distingue la subjectivité première de la subjectivité seconde d'une oeuvre littéraire. La subjectivité première est l'histoire du narrateur. La subjectivité seconde est lorsque d'autres personnages viennent ajouter  à l'histoire en cours leur propre histoire. Cette superposition d'évènement crée une dynamique particulière.

* "C'est un caractère essentiel et nécessaire de la liberté que d'être située". L'écrivain est en situation puisqu'il écrit pour un public défini et sa littérature répond aux besoins et demandes de ce public. "De l'écart entre le public idéal et le public réel est née l'idée d'universalité abstraite." L'écrivain cherche à s'adresser à l'Homme dans ses écrits mais ses lecteurs ne sont représentatifs que d'une catégorie sociale à une époque donnée." La littérature est par essence, la subjectivité d'une société en révolution permanente."

Partie IV : Situation de l'écrivain en 1947

 Sartre fonde son discours sur la problématique de l'écrivain français et de son évolution au cours du XXème siècle jusqu'en 1947. Avant d'être écrivain, il faut être intellectuel. Là où l'impulsion intellectuelle est présente, l'art se développe. Ainsi, Sartre souligne "la centralisation nous a tous groupés à Paris". L'écrivain lit pour apprendre sur le monde et sur lui même. Et c'est précisément cette connaissance littéraire qui détermine son rapport au monde. Il ne faut pas oublier que l'écrivain est un homme de lettres mais également de mœurs.

Sartre distingue trois générations d'écrivains :

- Avant 1914 : "ils me paraissent avoir réalisé en leur personne et par leurs œuvres l'ébauche d'une réconciliation entre la littérature et le public bourgeois". Avant 1914, écrire n'était pas un métier puisque l'écrivain ne vivait pas de son art. De plus, l'écrivain n'écrit que pour et par ce qui l'entoure. Son environnement est la richesse de ses écrits, l'inspiration de son art. " Pour se sauver lui-même , il sauvera la bourgeoisie en profondeur". Car c'est précisément de cet environnement, que naîtra la conscience bourgeoise et littéraire. Dépeindre l'Homme en dressant le tableau de son monde, tel est l'idéal littéraire de cette époque. Sartre résume le statut de ces écrivains du quotidien qui inspirent à écrire de grandes choses : " il faut faire comme tout le monde et n'être comme personne". Sartre nomme cette littérature, une littérature d'alibi puisque l'écrivain cherche toujours à dépasser la réalité pour en extraire des jugements plus nobles, plus grands.
- Après 1918 : La guerre a engendré deux courants littéraires bien distincts. L'un d'eux survivra et l'autre tombera en désuétude. "Le surréalisme poursuit cette curieuse entreprise de réaliser le néant par le trop plein d'être". En effet, le but du surréalisme est de déjouer les codes sociétaux, de les contester mais toujours de s'en inspirer. Cependant, leur contestation, par son caractère général, perd son authenticité et son intérêt. A trop vouloir changer le monde, ils ne le changent plus, à peine le dévoile t-il. "L'abolition totale dont le surréalisme rêve, ne fait de mal à personne, précisément parce qu'elle est totale. C'est un absolu situé en dehors de l'Histoire, une fiction poétique." Le surréalisme s'attache à adopter le combat communiste selon lequel l'esprit de Négativité prédomine. Cependant, quand le communisme aspire à une société nouvelle, le surréalisme ne se reconnaît plus : son combat étant purement littéraire et formel. L'humanisme est un autre courant littéraire de l'entre deux guerres. Ces écrivains ne cherchent pas à détruire le monde et la société des classes mais entendent écrire l'Homme. "Ils ont voulu faire voir qu'il est possible d'être homme même dans l'adversité". Cependant, le courant humaniste n'a pas su survivre à l'entre deux guerres car ils ont voulu écrire une société qui, par l'ampleur des grands événements, n'existait plus.
- Après 1945 : Il y a un besoin de renouveau. Ce renouveau s'alimente de l'évolution du monde : de l'avion à la naissance du tourisme de masse. La littérature s'en inspire et dessine de nouvelles perspectives. " Toutes les entreprises dont nous pouvons parler se réduisent à une seule : celle de faire l'Histoire." Sartre perçoit dans ce renouveau une autre littérature davantage ancrée dans le présent pour en révéler la complexité, le paradoxe. L'auteur doit écrire ce qu'il perçoit parce que c'est cette perception que retiendra l'Histoire. Il en est le témoin parce qu'il en est l'écho : "Il ne s'agit pas de choisir son époque mais de se choisir en elle." La littérature évolue au même rythme que le monde: elle se mondialise, s'émancipe et finit par perdre son identité. A la problématique des lecteurs se substitue celle des auteurs : "Nous sommes beaucoup plus connus que nos livres sont lus". Sartre se désole d'assister impuissant à la naissance de ce qu'il appelle "l'industrie littéraire", où la littérature exploitée sous diverses formes finit par être dénaturée, incomprise et finalement oubliée au rang de divertissement. La Seconde Guerre mondiale a engendré une autre perception de la littérature pour son "vrai" lectorat : les valeurs démocratiques en premier lieu desquelles la liberté. L'écrivain est libre d'écrire et cette liberté reste son identité. Dans un monde où il faut choisir un camps, la littérature ne choisit pas, elle est universelle : "Nous écrivons contre tout le monde, nous avons des lecteurs, mais pas de public."  Sartre propose de conquérir le public en se jouant des nouveaux médias et en adaptant la littérature à la modernité comme elle l'a fait du temps de Gutenberg.
- Synthèse : Sartre pose la problématique du pourquoi de la lecture --> Lisons nous  pour ce qui est écrit ou pour ce que l'ouvrage représente ? Cette seconde hypothèse représente un danger pour la littérature en tant qu'elle entend transmettre un questionnement. Sartre prend l'exemple de Nizan : "Communiste, les communistes le lisaient avec ferveur; apostat, mort, aucun stalinien n'aurait l'idée de reprendre ses livres; ils n'offrent plus à ces yeux prévenus que l'image même de la trahison." Pour faire des lecteurs, un public, Sartre propose de les unir autour de la thématique de la liberté, accessible par la connaissance de l'Homme et de la société dans laquelle il s'inscrit. Ainsi, l'écrivain doit s'engager et cet engament est sa liberté : "La littérature est par essence prise de position". Sartre met également en exergue les spécificités de la linguistique qui se trouve être en perpétuelle évolution consécutivement à la société dans laquelle elle s'inscrit. Ce fait est d'autant plus important qu"il détermine l'engagement de l'écrivain en ce qu'il choisit d'employer ou non un mot donné.  Sartre explique qu'en choisissant sa liberté, on se choisit nous-mêmes. La liberté n'est pas la même pour tous et diffère en tout temps. Ainsi, l'écrivain doit, au delà de l'analyse, synthétiser les enjeux de son époque pour en proposer une issue. Cette issue détermine l'homme futur : "L'homme est à inventer chaque jour". 

"Bien sûr, tout cela n'est pas si important : le monde peut fort bien se passer de la littérature. Mais il peut se passer de l'homme encore mieux."

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mardi 22 février 2011

Le mur



Le mur est un recueil de nouvelles publié en 1939. Cinq nouvelles composent ce recueil :
- Le mur
- La chambre
- Erostrate
- Intimité
- L'Enfance d'un chef
L'ensemble du recueil obtint le prix populiste en 1940.
Jean-Paul Sartre qualifia ces nouvelles de " cinq petites déroutes tragiques et comiques ". Il dédia ce recueil à Olga Kosakiewics ( actrice et amie de Sartre ).



Le mur :  Il s'agit de l'histoire d'un homme condamné , qui attend la mort. Cet homme, Pablo Ibbieta, pour avoir aidé un insurgé , est victime de ses actes. Il se surprend , au fil des heures, à renier la vie dans sa superficialité et à désirer son aspect uniquement primitif : boire, manger, dormir. Ainsi, face au mur , à la mort, l'homme , quelque soit son histoire, est un homme , rien de plus.

" Quelques heures ou quelques années d'attente c'est tout pareil , quand on a perdu l'illusion d'être éternel. "




La chambre :  Récit d'une femme , Eve, qui refuse de voir son mari comme un homme fou, malade. Elle s'obstine , n'écoute pas les conseils du médecin, de ses parents. Elle s'enferme , s'emmure, avec l'homme qu'elle a aimé .Cependant, la folie s'apparente au fil des pages à l'amour démesuré d'Eve  : refus de laisser soigner l'être malade,  envisager le crime passionnel plutôt que de reconnaître la maladie de l'autre. La folie n'est donc pas forcément là où elle semble la plus évidente.

" Un jour, ces traits se brouilleraient, il laisserait pendre sa mâchoire, il ouvrirait à demi des yeux larmoyants. Eve se pencha sur la main de Pierre et y posa ses lèvres : "Je te tuerai avant.". 



Erostrate :  Paul Hilbert est un homme à la personnalité complexe et dérangeante. Il hait l'Homme et ne peut entretenir de réels rapports tant humains que sexuels. Il est prisonnier de sa condition d'homme et ne cherche qu'à la dominer. Ainsi, Paul Hilbert va tuer. Le meurtre de l'Autre ne le satisfaisant pas , il s'abandonnera aux Hommes en refusant de se suicider.


"Moi je ne demande rien à personne,mais je ne veux rien donner non plus".


---> Erostrate est l'incendiaire du temple d'Artémis à Ephèse. Il expliqua qu'il commit ce geste en recherchant la célébrité. Son nom est alors interdit de citation mais un historien du nom de Théopompe le mentionne et il est repris au fil des siècles dans des écrits , ce qui valut à Erostrate sa "célébrité" postérieure.  

"Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d'Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si mauvais calcul."




Intimité : Lulu et Henri sont mariés. Leur mariage est un échec : Lulu est infidèle et Henri est violent et impuissant. Ils sont malheureux. Lulu se confie à son amie Rirette qui comprend très vite la complexité d'un mariage qui subsiste malgré le manque d'amour , de sexualité et de respect. Sartre montre ici comment le mariage , sans amour , peut s'avérer être une prison et comment la sexualité peut elle prendre la forme de la liberté.


"Le plaisir il n'y a que moi qui sache me le donner."
" On ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux."




L'enfance d'un chef :  Il s'agit de l'histoire d'un homme , Lucien , dont la vie paraît toute tracée mais qui , au travers de différentes actions , va changer sa destinée dans l'espoir de devenir quelqu'un. Lucien ne cesse , dans sa jeunesse , de s'interroger sur son existence. Il tente de se forger une identité par le biais d'expériences sexuelles , de psychanalyses ou de prises de position politique. Sa quête le mènera à devenir antisémite. Ainsi, cette nouvelle, trace le parcours d'un homme enfermé dans ses questionnements , dans sa quête identitaire et ,pour qui , le fascisme deviendra une source d'affirmation. Sartre amène ici le lecteur à un questionnement sur l'être et sur les limites d'une quête identitaire : doit-on s'identifier par opposition aux autres ? Ou , existons-nous grâce à l'Autre?


"Voilà donc que , de nouveau, on lui offrait un caractère et un destin, un moyen d'échapper aux bavardages intarissables de sa conscience, une méthode pour se définir et s'apprécier."
"Là où je me cherchais, pensa-t-il , je ne pouvais pas me trouver."
"Et lui, il était, il serait toujours cette immense attente des autres :"c'est ça un chef"."


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dimanche 13 février 2011

Le prix nobel de littérature et le refus de Sartre



En 1964, Jean-Paul Sartre publie "Les Mots".
Le 10 décembre 1964, Jean-Paul Sartre remporte le prix nobel de littérature. Il le refuse aussitôt. C'est la première fois qu'un lauréat décline cette distinction.
Au mois d'octobre 1964, Sartre est officiellement inscrit sur la liste des nominations pour le prix nobel de littérature.
 En apprenant cette nouvelle, le 14 octobre 1964, Jean-Paul Sartre écrit une lettre à l'académie suédoise en déclarant souhaiter ne pas être nominé.

Monsieur le Secrétaire,
D'après certaines informations dont j'ai eu connaissance aujourd'hui, j'aurais cette année quelques chances d'obtenir le prix Nobel. Bien qu'il soit présomptueux de décider d'un vote avant qu'il ait eu lieu, je prends à l'instant la liberté de vous écrire pour dissiper ou éviter un malentendu. Je vous assure d'abord, Monsieur le secrétaire, de ma profonde estime pour l'académie suédoise et le prix dont elle a honoré tant d'écrivains. Toutefois pour des raisons qui me sont personnelles et pour d'autres qui sont plus objectives, je désire ne pas figurer sur la liste des lauréats possibles et je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus tard, accepter cette distinction honorifique.
Je vous prie, Monsieur le secrétaire d'accepter mes excuses et de croire à ma très haute considération."



Malheureusement, la lettre ne fut pas ouverte et le 22 octobre , Jean-Paul Sartre est désigné lauréat du prix nobel de littérature.
 En décembre 1964, Sartre ne se présente pas à la cérémonie de remise de prix en Suède. Il écrit rapidement une seconde lettre expliquant son attitude et son refus.

"Je regrette vivement que l'affaire ait prix une apparence de scandale : un prix est distribué et quelqu'un le refuse. J'y ai invoqué deux sortes de raisons : des raisons personnelles et des raisons objectives.
Les raisons personnelles sont les suivantes : mon refus n'est pas un acte improvisé. J'ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque après la guerre, en 1945, on m'a proposé la légion d'honneur, j'ai refusé bien que j'aie eu des amis au gouvernement. De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis.  Ce n'est pas la même chose si je signe Jean Paul Sartre ou si je signe Jean Paul Sartre prix Nobel. L'écrivain doit donc refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c'est le cas.
Mes raisons objectives sont les suivantes : Le seul combat actuellement possible sur le front de la culture est celui pour la coexistence pacifique des deux cultures, celles de l'est et celle de l'ouest. Je ne veux pas dire qu'il faut qu'on s'embrasse, je sais bien que la confrontation entre ces deux cultures doit nécessairement prendre la forme d'un conflit, mais elle doit avoir lieu entre les hommes et entre les cultures, sans intervention des institution. Mes sympathies vont indéniablement au socialisme et à ce qu'on appelle le bloc de l'est, mais je suis né et j'ai été élevé dans une famille bourgeoise.  J'espère cependant bien entendu que " le meilleur gagne ", c'est à dire le socialisme.
C'est pourquoi je ne peux accepter aucune distinction distribué par les hautes instances culturelles, pas plus à l'est qu'à l'ouest, même si je comprends fort bien leur existence. Bien que toutes mes sympathies soient du cote des socialistes, je serais donc incapable tout aussi bien d'accepter par exemple le prix Lenine si quelqu'un voulait me le donner, ce qui n'est pas le cas.  Pendant la guerre d'Algérie alors que nous avions signé le " Manifeste des 121 ", j'aurais accepté le prix avec reconnaissance, parce qu'il n'aurait pas honoré que moi mais aussi la liberté pour laquelle nous luttions. Mais cela n'a pas eu lieu et ce n'est qu'à la fin des combats que l'on me décernait le prix."

Quand, plus tard, un journaliste lui pose la question " Pourquoi avez vous refusez le prix nobel ?" , Sartre répond :

"J'ai refusé le Prix Nobel de littérature parce que je refusais que l'on consacre Sartre avant sa mort. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun homme ne mérite d'être consacré de son vivant, parce qu'il a le pouvoir et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m'aurait élevé sur un piédestal alors que je n'avais pas fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté et d'agir, de m'engager. Tout acte aurait été futile après, puisque déjà reconnu de façon rétrospective. Imaginez: un écrivain pourrait recevoir ce prix et se laisser aller à la déchéance, tandis qu'un autre pourrait devenir encore meilleur. Lequel des deux méritait son prix? Celui qui était au sommet et qui a redescendu la pente ou celui qui fut consacré avant d'atteindre le sommet? J'aurais pu être l'un des deux, et jamais personne n'aurait pu prédire ce que je ferais. On est ce que l'on fait. Je ne serai jamais récipiendaire du Prix Nobel, tant et aussi longtemps que je pourrai encore agir en le refusant."

Vidéo sur ce thème :


samedi 5 février 2011

Café de Flore

Jean-Paul Sartre fréquente le Café de Flore de 1939 à 1945.
Sous l'occupation , ce lieu était un des seuls où les allemands n'étaient pas présents. Les grands intellectuels s'y réunissaient pour écrire leurs ouvrages sans aucune censure.Le Café de Flore y représentait alors un lieu de la Résistance secret. Jean-Paul Sartre y invente l'Existentialisme. Sartre y  écrit  de nombreux ouvrages  tels : les Chemins de la Liberté ou les Mouches.



En 1939, le Café de Flore vient d'être racheté par M.Boubal. Le café de Flore est situé à Saint-Germain des Près , dans le sixième arrondissement de Paris. Son origine remonte à la Troisième République ( 1890). Le Café de Flore doit son nom à une petite divinité située de l'autre côté du boulevard Saint-Germain. A cette époque, la salle du café était organisée à la manière d'un club anglais : gros poêle central ,  tables de 10 à 12 couverts...



Le Café de Flore devient le lieu d'habitation de Jean-Paul Sartre : il y déjeune, dîne, discute, écrit, rencontre. L'empreinte de Sartre est telle , que le carrefour principal du quartier de Saint-Germain des Près porte son nom, ainsi que celui de sa compagne, Simone de Beauvoir.

dimanche 30 janvier 2011

Hommage de Sartre à Camus

Le 4 janvier 1960, en rentrant de Lourmarin à Paris , Albert Camus se tue dans un accident de voiture. Il a quarante-six ans. L'adieu de Sartre à Camus est publié le 7 janvier dans France Observateur.

Jean-Paul Sartre indique dès le départ, qu'il fait parti de ceux qui l'ont aimé " notre querelle était tout juste une autre manière de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petit monde étroit qui nous est donné". 
Jean-Paul Sartre décrit le livre La Chute de Camus comme "le plus beau peut-être et le moins compris des livres de Camus". 
Il réhabilite Albert Camus comme un des plus grands intellectuels du XXème siècle, en soulignant le rôle important qu'il jouait pour les autres penseurs de son temps "On vivait pour ou contre sa pensée, mais toujours à travers elle".
Enfin, Jean-Paul Sartre décrit Camus comme un être trop prudent , qui refusait de s'engager concrètement mais qui , par son engagement , rappelait les valeurs morales de l'homme.
"Il refusait de quitter le sûr terrain de la moralité et de s'engager dans les chemins incertains de la pratique. Son humanisme têtu,étroit et pur,austère et sensuel,livrait un combat douteux contre les évènements massifs et difformes de ce temps.Mais, inversement, par l'opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait , au coeur de notre époque, contre les machiavéliens, contre le veau d'or du réalisme,l'existence du fait moral".
En conclusion , rappelons comment Sartre considérait Camus, avant la rupture de leur amitié :
"Vous avez été pour nous l'admirable conjonction d'une personne, d'une action et d'une oeuvre. C'était en 1945 : on découvrait Camus, le résistant, comme on avait découvert Camus, l'auteur de l'Etranger. Et, lorsqu'on rapprochait le rédacteur du Combat clandestin de ce Meursault qui poussait l'honnêteté jusqu'à refuser de dire qu'il aimait sa mère, sa maîtresse, et que notre société condamnait à mort , lorsqu'on savait , surtout, que vous n'aviez cessé d'être ni l'un ni l'autre, cette apparente contradiction qui nous faisait progresser dans la connaissance de nous mêmes et du monde, vous n'étiez pas loin d'être exemplaire. Car vous résumiez en vous les conflits de l'époque et vous les dépassiez par votre ardeur à les vivre".

Sartre et Camus : la rupture

Jean-Paul Sartre et Albert Camus montrent , au fil des évènements, des prises de position différentes. Leurs livres reflètent peu à peu leurs discordances et annoncent la fin d'une histoire d'amitié commencée en 1943. Sartre condamne la violence des dirigeants et approuve toute violence exercée par les opprimés. Partisan de la révolution, refusant de perdre son temps en bavardages sur la violence , qu'il trouve démoralisants et corrupteurs, Sartre est devenu le porte parole des opprimés.Ainsi, si Camus met toute son énergie à écrire contre la violence quelle qu'elle soit alors que Sartre adopte la violence révolutionnaire.

" La brouille définitive , c'est quand il a publié son ouvrage l'Homme révolté." Sartre


L'Homme révolté est publié en 1951. Dès lors, Jeanson , qui travaille pour Sartre au Temps Modernes, rédige un article de vingt et une pages critiquant l'oeuvre de Camus mais plus particulièrement l'homme. Ainsi , le titre de l'article est : Albert Camus ou l'âme révolté.

"On voit que cette étrange conception de l'Histoire revient à la supprimer en tant que telle. A vrai dire, il s'agit d'éliminer toute situation concrète, pour obtenir un pur dialogue d'idées : d'une part la protestation métaphysique contre la souffrance et la mort, d'autre part, la tentation également métaphysique de la toute puissance. La première constitue la vraie révolte, la seconde sa perversion révolutionnaire." Jeanson


Camus trouvait dans la critique de Jeanson, la rupture implicite de Sartre avec lui. Il publie une réponse de dix-sept pages  le 30 juin 1952. Albert Camus adresse une réponse à Jean-Paul Sartre et non à Jeanson car pour lui , Sartre n'a pu que soutenir son collaborateur. La seconde partie de sa lettre, s'attaque directement au vrai problème qui divise les deux intellectuels : le soutien de Sartre au communisme. Ainsi, Camus critique dans un premier temps, les Temps Modernes et leurs mauvaises interprétations de son livre puis il combat directement Sartre, l'homme et l'intellectuel.

"Il me paraît difficile en tout cas , si l'on est d'avis que le socialisme autoritaire est l'experience revolutionnaire principale de notre temps, de ne pas se mettre en règle avec la terreur qu'il suppose, aujourd'hui précisément et par exemple, avec le fait concentrationnaire". Camus


Sartre annonce que l'amitié a été brisée non par la critique de Jeanson mais par l'attaque de Camus envers lui. 


"Mon cher Camus, notre amitié n'était pas facile , mais je la regretterai si vous la rompez aujourd'hui..." Sartre


Jean-Paul Sartre publie un article de vingt pages dénonçant les failles d'Albert Camus sans aucune retenue. Sartre accuse Camus d'être un anticommuniste et il défend sa position politique en montrant que l'histoire n'est pas amputable à un seul responsable mais à tous les hommes.

" A mon idée,le scandale des camps nous met tous en cause. Vous comme moi." Sartre


Cependant,  Jean-Paul Sartre,  rappelle ce qu'Albert Camus a été pour lui :

" Vous résumiez en vous les conflits de l'époque et  vous les dépassiez par votre ardeur à les vivre".

Ensuite , Sartre accuse Camus de ne pas distinguer maîtres et esclaves, d'où la position compliquée d'Albert Camus dans la guerre d'Indochine.

" S'il faut appliquer vos principes, les Vietnamiens sont colonisés donc esclaves mais ils sont communistes donc tyrans " Sartre


Puis, Sartre proteste contre l'absence de révolte de Camus , qui conteste le monde en épargnant les hommes  et cherche une solution en Dieu :

" Vous vous révoltiez contre la mort , mais dans les ceintures de fer qui entourent les villes , d'autres hommes se révoltaient contre les conditions sociales qui augmentent le taux de mortalité . Un enfant mourait, vous accusiez l'absurdité du monde et ce Dieu sourd et aveugle que vous aviez crée pour pouvoir lui cracher à la face; mais le père de l'enfant, s'il était chômeur ou manoeuvre, accusait les hommes : il savait bien que l'absurdité de notre condition  n'est pas la même à Passy et à Billancourt".

 Enfin, Jean-Paul Sartre termine sa lettre par une note définitive et significative, mettant un terme final à leur amitié.

"De toute façon il était bon que je puisse vous dire ce que je pensais. La revue vous est ouverte si vous voulez me répondre, mais moi, je ne vous répondrai plus.J'ai dit ce que vous avez été pour moi et ce que vous êtes à présent.Mais quoi que vous puissiez dire ou faire en retour , je me refuse à vous combattre. J'espère que notre silence fera oublier cette polémique". Sartre


samedi 22 janvier 2011

Sartre et Camus : le début d'une histoire d'amitié

Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont deux grands intellectuels du XXème siècle.
 En juin 1943, ils se rencontrent lors de la première des Mouches , pièce de théâtre de Sartre. Albert Camus a consacré quelques années auparavant à Sartre. Jean-Paul Sartre a , quant à lui , publié un article sur l'oeuvre de Camus : l'Etranger,le Mythe de Sisyphe...La rencontre est brève et à l'instigation de Camus : "Je suis Camus".Sartre le trouve de suite "une personnalité très agréable".
En novembre 1943, Albert Camus rejoint Paris pour travailler comme lecteur chez Gallimard qui est son éditeur et , coïncidence , celui de Jean-Paul Sartre.


La première rencontre  a lieu réellement au café de Flore , lieu de travail de Sartre. Ils échangent leurs avis sur le recueil de poèmes de Francis Ponge : Le Parti pris des choses. C'est, cependant,  de la passion de Camus pour le théâtre qui offrit  aux deux intellectuels de s'ouvrir l'un à l'autre. En effet, Albert Camus, a dirigé une troupe de théâtre politique amateur à Alger.Jean-Paul Sartre lui parla alors de Huis Clos et lui proposa de jouer le héros et de la mettre en scène. Camus accepta. Ils répètent ensemble dans une pièce dans la chambre d'hôtel de Simone de Beauvoir, afin de produire par la suite, une tournée à petit budget. Sartre est satisfait de la prestation d'Albert Camus mais son principal financier est arrêté pour cause d'appartenance à un réseau de Résistance. Jean-Paul Sartre a alors l'opportunité de présenter sa pièce sur une scène parisienne dans une production professionnelle et Camus accepte avec élégance de se retirer.
En octobre 1938, Camus découvre Sartre grâce au roman La Nausée dont il écrit un article dans un quotidien de gauche algérien. L'analyse d'Albert Camus est empreinte d'éloges mais également de déception. En effet, bien qu'il partage les objectifs de Sartre , il considère La Nausée comme l'échec numéro un de cette première période de Sartre. Selon Camus :" Sartre s'appesantit sur les caractéristiques abjectes de l'humanité, au lieu de fonder sur certaines de ses grandeurs des raisons de désespérer". De plus , Camus apprécie peu "l'inadéquation comique de la tentative finale de Roquentin qui prétend retrouver l'espoir dans l'art , estimant que l'art est trivial quand on le compare à certains des plus beaux et des plus salvateurs moments de la vie". C'est ce qu'il appelle la négativité sartrienne. Cependant, son admiration conclue son article : "Au reste, c'est ici le premier roman d'un ecrivain dont on peut tout attendre. Une souplesse si naturelle à se maintenir aux extrémités de la pensée consciente; une lucidité si douloureuse, révèlent des dons sans limites. Cela suffit pour qu'on aime La Nausée comme le premier appel d'un esprit singulier et vigoureux dont nous attendons avec impatience les oeuvres et les leçons à venir". En février 1939, Albert Camus publie un autre article sur la seconde oeuvre de Sartre : Le Mur. Camus vante la lucidité de Sartre. Il admire la manière que Jean-Paul Sartre a de dépeindre l'absurdité de l'existence ainsi que l'incapacité de ses personnages à faire usage de leur liberté. Camus qualifie les nouvelles de Sartre comme donnant aux lecteurs "cette liberté supérieure et ridicule qui mène les personnages à leur propre fin". Sartre y décrit une condition humaine vouée à l'absurde  mais refuse de s'y résigner.

" Un roman n'est rien d'autre que de la philosophie exprimée en images..." Albert Camus 


A l'automne 1942, se produit la rencontre littéraire entre les deux intellectuels. Cette année marque pour Jean-Paul Sartre la découverte de l'oeuvre littéraire d'Albert Camus. Sartre va consacrer à l'Etranger une critique approfondie de 6000 mots. " Il n'est pas une détail inutile, pas un qui ne soit repris par la suite et versé au débat ; et , le livre fermé , nous comprenons qu'il ne pouvait pas commencer autrement , qu'il ne pouvait pas avoir un autre fin : dans ce monde qu'on veut nous donner comme absurde et dont on a soigneusement extirpé la causalité, le plus petit incident a du poids ; il n'en est pas un qui ne contribue à conduire le héros vers le crime et vers l'execution capitale. L'Etranger est une oeuvre classique, une oeuvre d'ordre, composée à propos de l'absurde et contre l'absurde."De plus il rapprocha le Mythe de Sisyphe de la philosophie."L'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le monde,si on les prend à part ; mais comme c'est le caractère essentiel de l'homme que d'être dans le monde, l'absurde , pour finir, ne fait qu'un avec la condition humaine. Aussi n'est il point d'abord l'objet d'une simple notion : c'est une illumination désolée qui nous le révèle. "Lever,tramway,quatre heures de travail, repas,sommeil et lundi, mardi, mercredi, jeudi ,vendredi, samedi sur le même rythme..." . 


Malgré ces différentes éloges , les deux intellectuels mettent à jour leurs discordances. La première relève de la conception du monde. Tout deux sont d'accord sur l'absurdité de l'existence.Cependant, Camus a une approche davantage sensuelle alors que Sartre révèle un dégoût profond pour la réalité corporelle. De plus , l'oeuvre d'Albert Camus est empreinte de luminosité, de plaisir charnel tandis que l'oeuvre sartrienne est caractérisée par sa morosité , son obscurité et son détachement.La seconde réside dans la nature littéraire des  deux intellectuels : Sartre est un philosophe , Camus un romancier. Les deux intellectuels sont pourtant très proches et Camus intègre rapidement le groupe littéraire de Sartre appelé "la famille". Quant à Jean-Paul Sartre, il accepta l'invitation de Camus de rejoindre le jury du nouveau prix de la Pléiade crée par Gallimard.







dimanche 16 janvier 2011

Présentation des Temps Modernes par Sartre

 http://palimpsestes.fr/gauche/temps_modernes.pdf

Les temps modernes

Jean Paul Sartre fonde en 1945  avec Maurice Merleau-Ponty la revue Les temps modernes.
Cette revue permet au comité qui entoure Sartre de publier de nombreuses oeuvres et articles.

« une époque, comme un homme, c'est d'abord un 
avenir ».


Ce comité est composé de :
- Simone de Beauvoir
- Raymond Aron
- Michel Leiris
- Albert Olivier
- Jean Paulhan


Les temps modernes publient des articles aux sujets internationaux : Allemagne, USA, Vietnam...Il s'agit d'un journal représentant la politique et la culture de gauche en France.


"L'engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature "


La revue est publiée chez de nombreux éditeurs tels :
- Gallimard 1945 - 1948
- Julliard 1949 - 1965
- Presses d'aujourd'hui 1965 - 1985
- Gallimard 1985 - à nos jours


Sartre pose dès le départ le principe de la responsabilité de l'intellectuel dans son temps et de la littérature engagée.

« Puisque l'écrivain n'a aucun moyen de s'évader, nous voulons qu'il embrasse étroitement son époque […] Il faut faire en sorte que, l'homme puisse, en toutes circonstances, choisir sa vie. C'est à défendre l'autonomie et les droits de la personne que notre revue se consacrera »


Les principaux thèmes de la revue Les temps modernes sont :
- lutte anticolonialiste notamment celle contre la guerre d'Algérie
- polémique contre le structuralisme
- querelles autour du marxisme
- soutiens aux révoltes hongroises et polonaises
- réflexions sur l'avenir de la gauche
- réflexions sur la société industrielle
- réflexions sur le Tiers Monde



La revue varie ses rubriques pour assurer aux lecteurs une diversité
 intellectuelle : témoignages, exposés, notes...Ainsi , Simone de Beauvoir surnomme les rédacteurs du journal des " chasseurs de sens".

dimanche 2 janvier 2011

Dans la rue des blancs manteaux


Dans la rue des blancs manteaux est une chanson écrite par Sartre en 1944 , durant la seconde guerre mondiale. La musique est de Joseph Kosma et la plus célèbre des interprétations revient à Juliette Gréco , qui la rendit célèbre. Les Frères Jacques sont les premiers à l'avoir interprétée.
C'est une chanson qui traite de la mise en place des outils de la peine de mort. Il s'agit d"une reference à la revolution française et d'une denonciation de la peine capitale.
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Ils ont élevé des tréteaux
Et mis du son dans un seau
Et c'était un échafaud
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Le bourreau s'est levé tôt
C'est qu'il avait du boulot
Faut qu'il coupe des généraux
Des évêques, des amiraux,
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Dans la rue des Blancs-Manteaux
Sont v'nues des dames comme il faut
Avec de beaux affûtiaux
Mais la tête leur f'sait défaut
Elle avait roulé d'son haut
La tête avec le chapeau
Dans l'ruisseau des Blancs-Manteaux